Eli Sharabi : « La résilience de l'âme Juive »

Par Rav Meïr Hazan

 Le témoignage bouleversant de l'ex otage du Hamas Eli Sharabi. Cette vidéo relate son expérience traumatisante lors de ses 491 jours de captivité à Gaza, après son enlèvement au kibboutz Beeri le 7 octobre 2023.

Eli Sharabi, âgé de 53 ans, partage les détails de sa captivité dans des conditions inhumaines. Il a été séparé de sa femme Lianne et de ses deux filles adolescentes, Noya (16 ans) et Yahel (13 ans), qui ont été assassinées ce jour-là, un fait qu’il n’a appris qu’après sa libération le 8 février 2025. Malgré ces épreuves, Sharabi souligne un aspect spirituel marquant : il a découvert sa foi juive en captivité, récitant le Chéma Israël, qui lui donnait « énormément de puissance ».

Nous avons pensé pertinemment et logiquement que tout drame aussi tragique soit-il, vécu par un juif dans le monde, devait avoir un écho avec son essence et son être en rapport avec sa mission sur terre. Voici une réflexion basée sur l'éthique juive en rapport avec ses propos, et en lien avec les enseignements des grands sages d'Israël.
 
Une éthique juive inspirée des propos d’Eli Sharabi

Imprégnés d’une résilience spirituelle remarquable et exempts de toute amertume face à des pertes incommensurables, ses propos offrent une assise féconde pour une réflexion approfondie sur les principes fondamentaux de la morale juive à travers les enseignements de nos sages.
Dans cette perspective nous nous sommes inspirés de certains parmi nos maitres qui insistent sur la transformation intérieure face aux épreuves. 
La foi comme source de force, et l’acceptation de la volonté divine, des thèmes qui résonnent profondément avec l’expérience de Sharabi.

La résilience par la foi : le Chéma Israël comme ancre spirituelle

Eli Sharabi raconte comment, dans les tunnels, il a trouvé refuge dans la récitation du Chéma Israël, une prière centrale du judaïsme qui affirme l’unicité de D-ieu et l’engagement à L’aimer « de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces » (Dévarim 6:5). Cette pratique lui a donné une « énorme puissance », un point d’ancrage face à la déshumanisation.
 
Rav Dessler, dans son ouvrage Mikhtav MeEliyahou (Tome 1), enseigne que les épreuves (ניסיונות) sont des opportunités pour élever l’âme et se rapprocher de D-ieu. Il écrit : « Les moments de souffrance sont des moments où l’homme peut transcender sa nature physique et se connecter à l’éternel ».

Pour Sharabi, la récitation du Chéma dans l’obscurité des tunnels incarne cette idée : face à la faim, à la peur et à la violence, il a choisi de s'affirmer spirituellement, transformant un moment de désespoir en une connexion avec le divin. Cette démarche reflète le concept du Bita'hone (confiance en D-ieu), dans l’éthique juive où l’individu s’appuie sur sa foi pour surmonter l’adversité.

L’absence de colère : une éthique de gratitude et d’acceptation

Malgré la perte de sa femme, de ses filles et de son frère, Eli Sharabi déclare : « Je ne suis pas en colère. J’ai de la chance d’avoir eu Lianne pendant 30 ans et nos deux filles extraordinaires pendant des années. » Cette attitude reflète une profonde acceptation et une gratitude pour ce qu’il a eu, plutôt qu’un ressentiment pour ce qu’il a perdu.

Le Rav Dessler abonde dans ce sens en enseignant que l’amertume et la colère sont des obstacles à la croissance spirituelle, car elles ancrent l’individu dans le passé et l’empêchent de voir la bonté divine. Il écrit : « La véritable grandeur consiste à accepter la volonté de D-ieu avec amour, même lorsque nous ne saisissons pas Ses voies » (Tome 2).

Eli Sharabi incarne cette idée en choisissant de se concentrer sur la gratitude pour les années passées avec sa famille, plutôt que sur la douleur de leur perte.
Le concept talmudique de « Gam Zou Létova » (גם זו לטובה – Cela aussi est pour le bien) s’inscrit dans une vision profonde de la Providence divine (השגחה), dans laquelle tout événement, même douloureux ou absurde en apparence, participe d’un bien supérieur, souvent invisible à l’homme (Traité Ta'anit 21a et Sanhédrine 108b).     
   

Rav Shapira, quant à lui, insiste sur l’idée que l’acceptation de la volonté divine (kabbalat ha-dine) permet à l’individu de trouver la paix intérieure, même dans les pires circonstances.
Il enseigne : « Quand nous acceptons que tout vient de D-ieu, nous transformons la douleur en une force pour avancer » (Shi'ouré HaRav).
Eli Sharabi, en refusant la colère, manifeste son adhésion à son principe moral. Il ne nie pas sa souffrance, mais choisit de l’intégrer dans une perspective de gratitude et se sent investit d'une mission, comme en témoigne son engagement à écrire un livre pour honorer les otages encore détenus.

Le Rav Shapira insiste aussi sur l’importance de reconnaître la présence de D-ieu même dans les moments les plus sombres.
Il explique que « chaque défi est une invitation à voir la main de D-ieu dans notre vie, à renforcer notre Emouna (foi) ».

En redécouvrant sa foi juive sous la contrainte, Eli Sharabi illustre cette idée : il ne s’est pas contenté de survivre physiquement, mais a cultivé une résilience spirituelle qui lui a permis de préserver son humanité.
Ce sens de la responsabilité collective résonne avec le concept juif de la ‘Arvoute (responsabilité mutuelle), où chaque Juif est tenu de veiller sur ses frères.
 
Itshak Hutner : La croissance spirituelle à travers les épreuves

Le Rav souligne que les épreuves (ניסיונות) ne sont pas des obstacles, mais des opportunités divines pour révéler le potentiel intérieur de l’individu : « L’épreuve n’est pas une punition, mais un outil pour sculpter l’âme, pour faire émerger la grandeur cachée » (Pa'had Its'hak, Iggeret 128).
Cette idée s’applique directement au témoignage d’Eli Sharabi, qui, dans les tunnels de Gaza, a découvert une foi juive qu’il n’avait pas pleinement explorée auparavant, notamment à travers la récitation du Chéma Israël.
Le principe moral que le Rav en tire est que l’expérience d'Eli Sharabi, marquée par la perte de sa famille et sa captivité, reflète cette idée : sa survie et son engagement à témoigner pour les otages restants, incarnent une responsabilité collective. Un thème cher au Rav Hutner, qui insiste sur le rôle de chaque Juif dans la pérennité de la nation.

Le 'Hafets 'Haim : La sanctification du Nom divin face à l’adversité

Le Rav enseigne que chaque Juif, même dans les moments de détresse, a la responsabilité de glorifier D-ieu par ses actions, qu’il s’agisse de respecter la Torah ou de témoigner de la dignité juive face à l’oppression. Dans son ouvrage Chem 'Olam, il écrit : « Dans les temps de persécution, celui qui reste fidèle à sa foi et agit avec droiture sanctifie le Nom de D-ieu, même dans l’obscurité » (chap. 3).

Le témoignage d’Eli Sharabi, qui domine sa colère et choisit de se consacrer à la mémoire de sa famille et à la cause des otages, peut être vu comme une forme de Kiddouch Hachem (sanctification du Nom divin). En partageant son histoire sans ressentiment, il incarne à la face du monde la résilience et la moralité juive, même après une tragédie. Le kiddouch Hachem dans l’adversité consiste à agir avec dignité, foi et altruisme, transformant les épreuves personnelles en un témoignage universel de la grandeur de la Torah et du peuple juif.

La dimension mystique

Il serait intéressant d'apporter une touche mystique à ce drame qui a été ressenti par tout le peuple juif dans sa chaire.
C'est en l'occurrence ce qu'exprime le Rachach (Rav Shalom Sharabi, qui était l’un des plus grands kabbalistes, célèbre pour ses commentaires sur les écrits du Ari Zal).

Ses enseignements, notamment dans son Nahar Shalom, mettent l’accent sur la connexion spirituelle entre l’âme juive et D-ieu, même dans les moments de grande détresse.
Il enseigne que la prière et la méditation, comme la récitation du Chéma, permettent à l’âme de s’élever au-dessus des contraintes matérielles et des souffrances pour trouver une force divine.
 
Pour Eli Sharabi, qui a récité le Chéma dans les tunnels de Gaza, cette pratique peut être vue comme une connexion mystique avec le divin, alignée avec l’approche du Rashash, qui considère la prière comme un canal pour recevoir la lumière divine (Or 'Elyone).
Son enseignement sur l’unité de l’âme juive avec D-ieu aurait trouvé un écho dans la capacité d’Eli Sharabi à transcender la souffrance physique par une redécouverte de sa foi.
Le Rashash aurait également vu, dans l’engagement de Sharabi à témoigner pour les otages, un acte de Tikkoune (réparation spirituelle), contribuant à l’élévation collective du peuple juif.

En conclusion

Le témoignage d’Eli Sharabi, tel que présenté dans la vidéo d’i24NEWS, est une source d’inspiration pour une éthique juive fondée sur la résilience, la gratitude, et la responsabilité collective.

En s’appuyant sur les enseignements de Rav Dessler et Rav Shapira, nous pouvons tirer trois principes clés :
1. La foi et la confiance en D-ieu (Emouna et Bita'hone) constitue une ancre spirituelle dans l’adversité, illustrée par la récitation du Chéma Israël.
2. L’acceptation de la volonté divine et la gratitude pour les bénédictions passées permettent de transcender la colère.
3. La transformation de la souffrance personnelle en action altruiste pour la communauté incarne le principe de 'Arvoute (principe qui exprime la solidarité entre tous les juifs).

Ces concepts, enracinés dans la tradition, montrent comment une expérience aussi tragique que celle de Sharabi peut devenir une source de lumière spirituelle et morale, non seulement pour lui, mais pour l’ensemble du peuple juif.