La coutume et le secret du plateau de Bibhilou à Pessa'h

 

Il existe une coutume (Minhag), connue sous le nom de « Bibhilou – בבהילו (Avec précipitation, en toute hâte.) », très répandue dans les communautés d'Afrique du nord et en particulier au Maroc et en Tunisie. Elle consiste à faire tourner le plateau du Séder de Pessa'h, trois fois autour de la tête des convives en chantant l'air traditionnel de circonstance : 

בבהילו יצאנו ממצרים הא לחמא עניא בני חורין
Avec précipitation nous sommes sortis d'Egypte, voici le pain de misère, (nous sommes) des hommes libres.

Les sources de la Torah

Ces paroles sont déjà rapportées dans le rituel de la Haggada du Rambam (fin des lois de Péssa'h ).  Le Hida fut témoin de cette coutume, lors de sa visite à Tunis en 1774. Le rav Kalifa ben Malka nous explique que, bien que ne faisant pas partie intégrante de la Hagada, ce Minhag vient nous permettre de réaliser une Mitsva de la Torah, comme il est dit : 

כי בחפזון יצאת מארץ מצרים למען תזכר את־יום צאתך מארץ מצרים כל ימי חייך
Car c'est en toute hâte que tu es sorti d'Egypte afin que tu te rappelles le jour de ta sortie d'Egypte tous les jours de ta vie (Dévarim 16/3).

Par ailleurs, l'habitude de faire tourner le plateau aux dessus des convives se trouve aussi en allusion dans la Torah. Mais avant de poursuivre, il convient de s'intéresser au plateau lui-même et à sa composition.


Le plateau regroupe neuf « Simanime » (éléments symboliques) rapportés dans le traité de Pessa'him (chapitre 10 Michna 3). Chacun d'entre eux représente une Mitsva à part entière à réaliser selon l'ordre prescrit par la Hagada. Le plateau dont l'importance est fondamentale puisqu'il « supporte et contient » toutes les autres Mitsvote, est lui-même une Mitsva à part entière. Ainsi, quand on soulève le plateau, on fait passer sur la tête de chacun l'ensemble des dix Mitsvote à réaliser le soir de Pessa'h.
 

Disposition selon le Ari zal et la coutume des Séfaradim

Par cette action on se place directement sous la protection de D-ieu comme il est dit :  «  כי אתה ה׳ בקרב העם הזה ... ועננך עמד עלהם - Toi Seigneur, Tu es au milieu de ce peuple…Ta nuée plane au-dessus d'eux ». (Bamidbar 14/14). 

Ainsi, de même qu'en entrant dans une Souka fragile nous nous plaçons sous la protection de la présence divine (la Chékhina), lors du Séder de Pessa'h nous nous mettons sous la protection des Mitsvote que nous allons réaliser.

La Guémara l'exprime de manière allégorique : « De même que la colombe est protégée par ses ailes, les enfants d'Israël sont protégés par les Mitsvote » (Chabat 49a).

C'est ce que nos Sages traduisent par l'expression : «  אנו מסתופפים בּצֵל הצוותNous résidons à l'ombre des Mitsvote » . Le plateau qui passe sur nos têtes concrétise cette foi en la protection divine.
Cette coutume est rapportée par le rav Yossef Messas dans son livre « Vayizkor Yossef » (page 44).

les sources d'après la kabala

Le rav Baroukh Raphael Tolédano (Kitsour Choul'hane Aroukh, Chapitre 601, alinéa 17) nous explique que nous sommes enveloppés par le mérite des dix Mitsvote, qui font allusion aux dix Séfirote de la Kabala. Et de ce fait le Saint béni soit-Il, nous protège de tout mal, nous sauve du mauvais penchant (Yétser Hara) et des forces malfaisantes.  

Il nous incombe à présent, pour comprendre la relation entre les Séfirote et les éléments du plateau, de tenter de survoler le concept des Séfirote d'après la Kabala. Survol téméraire et forcement imprécis tant il fait appel à des concepts spirituels difficilement accessibles sans une étude longue et approfondie.

Les Séfirote, au nombre de dix, forment un « Arbre de Vie » , où « le supérieur » se diffuse vers « l'inférieur (Israël) ». À l'inverse, le comportement des Benei Israël et leur degré d'observance des Mitsvote se répercutent sur les sphères supérieures.

Ce sont des « émanations divines » avec lesquelles le Créateur interfère dans son monde.

Ce système hiérarchique permet de comprendre comment la lumière divine se diffuse et se reflète dans la création, permettant à l'homme de recevoir et d'interagir avec cette lumière à divers niveaux.

L'ordre des Séfirote part du domaine intellectuel, parcourt le champ émotionnel et descend jusqu'au domaine de la sphère de l'action effective (Malkhoute).

Le plateau de Péssah et tous les signes qu'il contient symbolisent dans la Kabbale les conditions par lesquelles l'homme peut être en relation avec le Créateur. L'homme, dans le processus de son développement spirituel, transcende son ego, acquiert la nature de l'amour et du don et se rapproche de cette manière du Créateur. Il devient ainsi, selon les kabbalistes, qualifié pour recevoir les bienfaits prodigués par son Créateur.

L'os correspond à la Sefira de Héssed - חסד (Bonté), l'œuf à la Sefira de Gévoura - גבורה (Force), Le Maror à la Sefira de Tiféret - תפארת (Splendeur), le 'Harosset à la Sefira de Nétsah - נצח (Victoire), le Karpass à la Sefira de Hod - הוד (Majesté), la 'Hazérèt à la Sefira de Yéssod - יסוד (Fondement).

Les Matsote correspondant aux trois Séfirote supérieures :  Hokhma - חוכמה (Sagesse), Bina - בינה (Discernement), Da'at - דעת (Connaissance). Et le plateau lui-même qui inclut l'ensemble des aliments correspond à Malkhoute - מלכות (Royauté). Il symbolise le désir de celui qui est maintenant prêt à recevoir la lumière infinie et éternelle. 


Il s'établit donc un lien entre les Séfirote et les éléments du plateau, semblable à des canaux qui font descendre sur l'assemblée les bienfaits, les bénédictions et la protection de Hachem en cette soirée particulière qui porte le nom de « Leil Chimourim - La nuit des protections » .

Plus particulièrement au moment où l'on fait tourner le plateau trois fois au dessus de la tête de chacun. Moment qualifié de « Éte Ratsone - עת רצון » , moment propice aux bénédictions et à l'acceptation des prières. C'est le moment où, les femmes en particulier, implorent la miséricorde divine pour le mariage de leurs enfants.



Ne ratez pas ce moment exceptionnel !

Rav Aharon Bieler