Veillée de Chavouote : ne pas faire de l’essentiel un détail, et du détail l’essentiel

Par Rav Aharon Bieler


Le Rosh Yeshiva, le Gaone Rav Shnéour Kloft, a prononcé un discours à ses élèves à l’approche du jour du don de la Torah, dans lequel il a critiqué ceux qui inversent les priorités – faisant de l’essentiel un accessoire, et de l’accessoire l’essentiel.
À qui faisait-il allusion ? Quelle est l’origine de la coutume de rester éveillé et d’étudier la nuit de Chavouote, et quelle est la prière centrale de la fête des prémices ?

Il a rappelé que toute la raison de rester éveillé la nuit est de se préparer à la prière et à la lecture de la Torah. Et si quelqu’un s’endort pendant la prière, la lecture de la Torah ou la lecture du rouleau de Ruth, il ne se conforme pas à la halakha.

Le Rav Kloft a souligné qu’il n’est permis de rester éveillé la nuit que si l’on est certain de pouvoir rester pleinement alerte pendant la lecture de la Torah, laquelle, selon les paroles du Ramhal (1) et de la Pessikta déRav Kahana (2), constitue le cœur de la fête de Chavouote. Et d’un point de vue strictement halakhique, s’il ne peut pas être pleinement attentif à ce qu’il est tenu d’écouter selon la loi, il n’y a alors aucun intérêt à rester éveillé.

Il a insisté sur le fait que « L’influence principale de Chavouote est défini par les effets spirituels essentiels qui résident dans la lecture de la Torah, avec les Dix Commandements. »
« Les effets de la fatigues sont ressentis à cause de la veillée, certains somnolent ou sont à moitié endormis, et ils risquent de passer à côté de la lecture de la Torah et de la Méguilate Ruth. »
« Ils passent ainsi à coté des influences profondes de la fête, car l’essentiel est d’écouter les Dix Commandements, qui ont été donnés lors du don de la Torah. »

Ce sont ceux-là, a-t-il conclu avec douleur, qui « font de l’essentiel un détail et du détail l’essentiel ».

Sources :

1. Le Ramhal (Rav Moché Hayim Luzzatto)

Le Ramhal (1707-1746), maître de la pensée kabbalistique et morale (moussar), notamment auteur de Messilat Yesharim et Derekh Hashem, met l’accent sur la structure spirituelle du temps. Dans Derekh Hashem (4:7), il explique que chaque fête juive ouvre un « canal » spirituel correspondant à l’événement qu’elle commémore.

Ainsi, Chavouote, selon lui, n’est pas une simple commémoration, mais une reconnexion vivante au moment du don de la Torah.

Par conséquent, la lecture des Dix Commandements et l’attitude pendant la Tefillah prennent un rôle central : c’est le moment où l’on reçoit à nouveau le flux spirituel de la Torah.
Le message du Ramhal rejoint l'idée que la qualité du réceptacle de la réception (c’est-à-dire l’état de conscience et de vigilance pendant la prière et la lecture) est plus importante que la quantité d’étude nocturne.

2. Pessikta déRav Kahana

La Pessikta déRav Kahana est un recueil midrashique (de l’époque des Amoraïm, IIIe-VIe s.) centré sur les lectures spéciales des fêtes et des jours solennels.

Dans la Pessikta pour Chavouote (Piska 12), on trouve une forte insistance sur la centralité de la lecture des Dix Commandements, en tant qu’expérience fondatrice de la destinée du peuple juif.
Elle décrit cette lecture comme un renouvellement du pacte entre Hachem et Israël, comparable à l’alliance originelle lors de la révélation au mont Sinaï.

Pour le Rav Kloft, cela signifie que la pleine conscience durant cette lecture est essentielle – bien plus que l’étude nocturne, qui n’est que préparation.

3. L’origine de la veillée d’étude à Chavouote (Tikkoun Leil Chavouote)

  • Cette coutume remonte à l'époque des Mékoubalim résidant à Tsfat (Safed) au XVIe siècle, en particulier qui étaient proche du cercle du Ari zal (Rav Its’hak Louria).
  • Le Tikkoun Leil Chavouot consiste en la lecture de passages de toute la Torah écrite et orale, dans un ordre symbolique, visant à se préparer spirituellement à recevoir la Torah.
  • Cette pratique tire aussi son origine d’un Midrash selon lequel les Bné Israël se seraient endormis la veille du don de la Torah, et que D-ieu aurait dû les réveiller (Chir HaChirim Midrash Rabbah 1).

Ainsi, rester éveillé est un acte réparateur (tikkoun), mais non une fin en soi. Si cela conduit à négliger la prière et la lecture du matin, l’objectif est manqué – c’est exactement ce que critique Rav Kloft.

 4. La Halakha sur l’état de vigilance pendant la prière

Dans la halakha (Choul'hane ‘Aroukh, Orah ‘Hayim 494), il n’est pas exigé de veiller toute la nuit, mais la lecture des Dix Commandements (au moins en public) est une institution forte à Chavouote.