
En décembre 1931, dans un appartement de Kiel, au nord de l’Allemagne, Rachel Posner allume les bougies de Hanouka. Devant elle, sur le rebord de la fenêtre, la flamme fragile de la Ménora scintille dans la nuit d’hiver. En face, tendu sur un immeuble, un drapeau nazi flotte au vent, déjà symbole d’une haine qui se répand.
Rachel, photographe amateur, saisit son appareil, prend la photo, la développe à la maison et immortalise la scène : la lumière juive millénaire face à l’emblème du nazisme. Elle ne sait pas encore qu’elle vient de produire l’un des clichés les plus symboliques de l’histoire juive du 20 ième siècle.

Au dos de la photo, elle écrit en allemand deux phrases courtes, presque lapidaire.
« Juda, disparais ! dit le drapeau.
Juda vivra éternellement, répond la lumière. »
Nous sommes en 5692 selon le calendrier hébraïque. Ce contraste visuel, flamme contre svastika, symbole très ancien adopté le parti nazi au 20 ième siècle comme emblème idéologique, deviendra prophétique.
Un rabbin face à la haine ordinaire
Rachel Posner est l’épouse du Rav Akiva Baruch Posner, dernier rabbin d’avant-guerre de la communauté juive de Kiel. Diplômé de l’université de Halle-Wittenberg, docteur en philosophie, il officie dans cette ville portuaire depuis 1924, dans une Allemagne encore marquée par la fragilité de la République de Weimar.
Lorsque des établissements de la ville commencent à afficher des pancartes "Juifs indésirables", Akiva Posner refuse de se taire. Il publie dans la presse locale une lettre de protestation, dénonçant publiquement l’antisémitisme grandissant. Sa prise de position attire aussitôt l’attention du NSDAP. Le responsable de la branche locale du parti nazi le convoque à un débat public. En réalité il s'agit d'une tentative d’intimidation menée sous une lourde présence policière et sous le regard hostile de militants en uniforme. Le message est clair !
À mesure que les violences antijuives s’intensifient, les dirigeants de la communauté lui demandent de quitter l’Allemagne avant qu’il ne soit trop tard. Conscient du danger imminent, le Rav Posner conseille à son tour à ses fidèles d’émigrer vers Eretz Israël ou les États-Unis, répétant à chacun que l’avenir des Juifs d’Allemagne s’assombrit de jour en jour.
La Famille Posner à la gare de Kiel en 1933
Un départ précoce qui sauve une famille
En 1933, quelques semaines après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Akiva et Rachel Posner quittent l’Allemagne avec leurs trois enfants. Ils emportent leurs souvenirs, leurs archives, leurs livres… et la 'Hanoukia en laiton qui apparaît sur la photo.
Ils atteignent Eretz Israël en 1934, s’installent à Jérusalem et recommencent tout. Le rabbin poursuit son travail d’enseignement et d’écriture. Rachel continue de photographier et d’enseigner.
La petite communauté de Kiel, elle, sera presque entièrement décimée pendant la Shoah.
Une transmission qui devient symbole national
Yad Vashem conserve aujourd’hui l’original du cliché, l’inscription manuscrite de Rachel et la Menora elle-même, devenue une pièce majeure de son exposition permanente.
Cette continuité familiale est rare. Très peu d’objets rituels ayant traversé l’Allemagne nazie avec leurs propriétaires, sont restés intacts et sont encore utilisés.
Chaque année, les Posner, puis leurs enfants et petits-enfants et arrière-petits-enfants, allument encore ses bougies à Hanouka. Un rituel chargé de mémoire et de symbole.
L'allumage, chaque année de la fameuse 'Hanoukia par les descendants du Dr. Posner est devenu un rite immuable de génération en génération.
Yéhouda Mansbach, petit-fils du Dr. Posner avec la fameuse 'Hanoukia
2009 - Akiva Mansbach, l’arrière-petit-fils de Rachel et Akiva Posner
Près de 80 ans après le départ de Kiel, l’histoire connaît un nouvel écho.
En 2009, l’arrière-petit-fils de Rachel et Akiva, Akiva Mansbach, soldat de Tsahal, revêt son uniforme et allume cette même Hanoukia sur un rebord de fenêtre en Israël. Il compose alors un poème qui répond directement à celui de son arrière-grand-mère. Il écrit :
En 5692 (1931/1932), la Ménora était en exil, faisant face au drapeau d’un parti qui n’était pas encore au pouvoir mais déjà porteur de mort.
En 5770 (2009), elle fait face cette fois au drapeau israélien d’un État juif souverain, protégé par ses propres soldats.
La réponse symbolique est d’une force rare :
le peuple que le drapeau nazi proclamait mourant allume aujourd’hui ces mêmes bougies dans un pays indépendant, au sein d’une armée juive.
Akiva Mansbach conclut son poème par un appel :
Que sa grand-mère, « dans les cieux », prie pour que la délivrance vienne bientôt à Sion.
Allumage en 2016 au tombeau de Yossef Hatsadique. Voir la vidéo, brulante d'actualité !
Une image devenue icône mondiale
Depuis sa redécouverte par les archivistes de Yad Vashem, la photo de Rachel Posner a fait le tour du monde.
Elle est souvent présentée comme l’un des symboles les plus puissants de la résistance spirituelle juive : non pas une résistance armée, mais celle d’un foyer, d’une famille, d’une lumière obstinée.
L’histoire de la famille Posner n’est pas spectaculaire.
Elle ne parle ni de batailles, ni d’héroïsme armé, ni de gestes dramatiques. C’est l’histoire d’une famille qui voit le danger venir, qui alerte, qui prévient, qui photographie, qui écrit. Une famille qui quitte tout pour survivre et qui continue, génération après génération, à allumer des flammes de vie.
La 'Hanoukia, posée un soir d’hiver dans une petite ville où l’on commençait déjà à dire : "Juifs indésirables", est devenue un témoin silencieux d’une vérité historique simple et profonde :
Mais l'histoire ne s'arrête pas là !
BERLIN : plus de 90 ans après avoir été immortalisée face à la montée du nazisme, la Ménorah emblématique est revenue en Allemagne pour une cérémonie de 'Hanouka, symbole poignant de la lutte contre la résurgence de l'antisémitisme.
Le président allemand Frank-Walter Steinmeïer a accueilli les descendants de la famille Posner au palais présidentiel de Bellevue à Berlin le 19 décembre 2022, pour l'allumage solennel du chandelier sauvé de l'Allemagne nazie.

Lors de la cérémonie au palais, l'émotion était palpable. Yéhouda Mansbach, le petit-fils du couple Posner, a fondu en larmes après avoir allumé les bougies.

Le président Steinmeier, accompagné de son épouse Elke Büdenbender, s'est dit rempli d'une « profonde gratitude et d'humilité, et surtout de bonheur » face à cette lumière. Il a également remercié la famille Posner pour sa « générosité » de partager son histoire lors de cette visite qu'il a reconnue comme « douloureuse » depuis Israël.
Appel à la Vigilance
Soulignant le "miracle" de la renaissance de la vie juive en Allemagne, le président Steinmeïer a insisté sur l'importance du symbole de la Ménorah, qui brille désormais à des « dizaines de milliers de fenêtres » pour Hanouka.
« Cette lumière est un symbole sociétal fort contre la haine », a-t-il déclaré, déplorant la « montée de l’antisémitisme » qui rend ces symboles « absolument nécessaires ». Le président a lancé un appel vibrant à la vigilance :
« Chacun d’entre nous doit s’opposer à toute forme d’antisémitisme. Personne ne doit détourner le regard. Et notre État, nos autorités, doivent être vigilantes et implacables dans la poursuite des crimes. »
La quatrième génération
En 2023, dans la bande de Gaza, Razièl Gilo, arrière-petit-fils d’Akiva et de Ra’hel Posner, allume la 'Hanoukia familiale devant la célèbre photo prise à Kiel en 1931.
En 2023, dans la bande de Gaza, allumage par l'arrière-petit-fils, Razièl Gilo
Le dimanche 10 décembre 2023, quatrième jour de 'Hanouka, Razièl Gilo, arrière-petit-fils de Posner et réserviste des Forces de défense israéliennes âgé de 35 ans, a apporté la Ménorah à la frontière de Gaza pour inspirer son unité.
La transmission
A plusieurs reprise la Torah insiste sur l'obligation de raconter les évènements marquants de notre histoire. Plus qu'un simple acte pédagogique, c'est une obligation fondamentale, une Mitsva.
"וְהִגַּדְתָּ לְבִנְךָ" - Tu le raconteras à ton fils (Exode 13). Ce verset, dans le contexte de la sortie d'Égypte souligne l'importance d'un devoir personnel de s'identifier à la source. La transmission devient l'acte qui transforme une observance rituelle en une expérience vécue et mémorisée. L'existence même du peuple d'Israël, libéré d'Égypte, doit être racontée pour rester significative.
De même à propos du don de la Torah : "וְהוֹדַעְתָּם לְבָנֶיךָ וּלְלְבְנֵי בָנֶיךָ" - "Tu les feras connaître à tes fils et aux fils de tes fils" (Deutéronome 4, 9). Le fait d'étendre la transmission aux petits-enfants insiste sur la pérennité de l'Alliance en gravant la Mémoire du Sinaï et le don de la Torah si profondément qu'elle ne soit jamais oubliée par la lignée.
Encore plus qu'un récit, un objet, est un témoignage vivant d'un évènement passé.
La famille Posner illustre exactement ce principe : un objet transmis, une simple 'Hanoukia, devient un fil conducteur entre des générations séparées par l’exil, la destruction, la reconstruction.
La 'Hanoukia Posner devient, dans ce cadre, le témoin matériel d’un fil ininterrompu reliant des générations qui auraient dû être brisées par l’histoire.
Chaque transmission véritable, selon la Torah, n’est pas la simple répétition du passé mais un acte de recréation : la lumière que l’on reçoit n’est pas conservée telle quelle, elle est réallumée.
À chaque génération, on ravive le sens de 'Hanouka : la capacité de tenir face à des forces d’effacement, de réaffirmer l’identité juive dans un monde qui parfois s’y oppose.
Dans une famille qui a vu la montée du nazisme, l’exil, puis le retour en Israël, le geste répété d’allumer cette même 'Hanoukia devient une réponse active à l’obscurité historique.
Il incarne la définition même de la résilience selon la Torah : ne pas laisser l’histoire s’interrompre, même quand tout semble conspirer pour la faire taire.