Face à la haine la parole demeure

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Le doute

Chaque semaine, je m’assois devant mon clavier avec la même question et la même sensation : à quoi bon encore écrire ?
À quoi bon m’entêter à vouloir convaincre le monde du bien-fondé du chemin qu’emprunte Israël pour se défendre face aux pires ennemis que l'humanité moderne ait à supporter. A quoi bon tenter encore de changer une vision du monde si souvent biaisée, injuste, aveugle face à la souffrance de mon peuple, le peuple juif, en Israël comme dans le reste du monde ?

Et pourtant, malgré le découragement, je sens qu’il faut continuer à écrire. Parce que se taire, ce serait laisser la haine dicter le récit. Parce que rappeler la vérité, même si elle dérange, reste une forme de résistance morale.

Les faits (tels que ce 7 octobre 2023) sont là, visibles, documentés, terribles. Et pourtant, lorsqu’il s’agit des Juifs, une grande partie du monde ne se contente pas d’ignorer les faits, elle choisit délibérément de détourner le regard.

Ainsi elle inverse les rôles en faisant des bourreaux des victimes et des victimes des coupables, comme si la haine du Juif prenait le pas sur la reconnaissance des horreurs commises par les pires criminels terroristes.

Je vois des foules qui crient contre Israël, sans savoir pourquoi, des slogans vides de sens (« de la mer au fleuve »), des discours de haine qu’on répète par réflexe. Ce qui vide ce slogan de toute substance, c’est que ceux qui le scandent ne savent souvent même pas situer précisément ni la « mer » ni le « fleuve » dont ils parlent.

C’est pourquoi une véritable inquiétude m’habite. Celle que cette haine devienne banale, qu’elle s’installe dans les consciences comme un bruit de fond, comme quelque chose d’ordinaire.

Mais j’écris quand même. Par devoir, d’abord, et aussi par espoir.

L’espoir, fragile mais réel, que les paroles de nos Sages, ainsi que les enseignements de notre chère Torah et de ses prophéties, puissent encore éveiller un peu d’humanité.
Non pas forcément chez ceux qui nous détestent, mais chez ceux qui doutent, ceux qui hésitent encore entre la propagande et la vérité. Et cela pas seulement chez les nations du monde mais aussi parmi nos frères juifs de gauche comme de droite.

La parole de nos maîtres 

Nos maîtres expliquent depuis des siècles que la haine envers Israël dépasse largement les événements actuels. Cette hostilité, souvent irrationnelle  'Essav Soné Léya'akov »), révèle une tension fondamentale entre un monde qui cherche la fragmentation et un peuple appelé à incarner la cohérence morale et spirituelle.

L’expression ‘Essav Soné Léya'akov’ (עשו שונא ליעקב) provient du Sifri, (Béha'alotekha 69). Elle signifie littéralement : “Essav hait Ya'akov.”

Nos maîtres ne la comprennent pas comme une haine accidentelle ou circonstancielle, mais comme une donnée structurelle du monde spirituel. 'Essav, symbole des civilisations matérielles, puissantes et dominées par l’ego, ressent instinctivement la présence de Ya'akov.
Celui-ci représentant le symbole de la conscience morale, de la fidélité à Dieu et de la vérité, remet en cause son propre fondement.

Autrement dit, ce n’est pas une haine politique, mais ontologique. Tant que Ya'akov incarne la vérité et la supériorité de la morale sur la force, 'Essav, représentant du monde désuni et intéressé, ne peut s'y rattacher.

Le Maharal (Nétsa'h Israël) affirme que le peuple juif incarne une idée d’unité dans un monde fragmenté. Et c’est précisément cette unité, spirituelle, morale, métaphysique, que le monde matériel ne supporte pas. La haine du Juif, disait-il, c’est au fond la haine de ce que le Juif rappelle : qu’il existe une vérité au-dessus de la force, une loi au-dessus de l’arbitraire.

Le Rav Dessler voyait dans le mal et la cruauté non pas une absurdité, mais une épreuve, une occasion de mesurer jusqu’où l’homme peut rester fidèle au bien, même dans le chaos. Se taire, c’est laisser le mensonge occuper tout l’espace. Chaque mot juste, disait-il, même s’il ne convainc personne, a sa force propre, il réintroduit de la lumière là où tout s’assombrit.

Alors je continus d'écrire. Pas pour changer le cœur des haineux, mais pour que la vérité ne disparaisse pas sous le bruit. Pour que ceux qui cherchent encore à comprendre trouvent, quelque part, un repère. Et aussi pour nos enfants, pour qu’ils sachent que dans ce monde où les images se succèdent plus vite que les faits, il reste une parole qui ne ment pas.

Et pourtant, je sais bien que nos ennemis se moquent de ces enseignements, qu’ils les méprisent, convaincus que ces sages juifs ne sont que de beaux parleurs, et que la vérité leur appartient exclusivement. Ce cynisme ne fait que renforcer l’importance de notre fidélité aux valeurs profondes qu’ils ont transmises.

Je pense souvent à certains penseurs, non juifs, Camus, Niebuhr, T.S. Eliot, John Locke ou Dietrich Bonhoeffer qui, chacun à leur manière, ont vu chez les juifs, une conscience morale du monde. Ils ont également exprimé une admiration pour les valeurs du judaïsme et son apport moral, portant un amour sincère pour la vérité et la justice. Pour eux, le destin d’Israël n’est pas seulement celui d’un peuple, il interroge toute l’humanité et un défi éthique pour elle.

Et pourtant, malgré leur influence, ces voix n’ont pas réussi à convaincre la majorité de leurs compatriotes, souvent issus des mêmes traditions religieuses, de dépasser les préjugés pour voir Israël autrement.

Cette difficulté à faire entendre la vérité reste un mystère.
Ces penseurs, profondément attachés à la quête sincère de la vérité et à la justice, ont pourtant peiné à convaincre leurs contemporains.
Peut-être que la vérité, aussi évidente soit-elle pour certains, se heurte à des résistances bien plus profondes. Des intérêts, des préjugés enracinés, qui empêchent qu’elle soit pleinement accueillie, même par ceux qui la cherchent.

Et c’est peut-être là que tout se joue. La façon dont on traite Israël reflète souvent la capacité du monde à accueillir, ou au contraire à rejeter, la vérité dans son essence même.

Pourquoi tant de haine ?

Alors oui,
je me demande souvent, pourquoi tant de haine ? Pourquoi cette obsession, ce refus d’écouter, cette inversion des faits ? Est-ce la peur d’un peuple qui rappelle que l’histoire a un sens ? Ou la jalousie d’un monde qui ne supporte pas qu’un petit pays, fragile et têtu, continue d’exister malgré tout ?
Pour De Gaulle ce peuple est "Dominateur et sur de lui". Surréaliste non ! Je n’ai pas de réponse définitive. Mais je sais qu’abandonner la question, ce serait déjà laisser la haine gagner.

Alors j’écris, encore. Parce qu’écrire, aujourd’hui, c’est peut-être la dernière manière de rester humain.

Israël, le rappel vivant de l’unité

Il importe
de distinguer clairement les enseignements de nos sages, qui éclairent le chemin de notre peuple depuis la révélation au mont Sinaï, des analyses des penseurs, sociologues, philosophes ou anthropologues non juifs. Ces derniers, souvent influencés par leurs cadres culturels, tentent d’éclairer cette haine à travers des notions telles que la peur de l’altérité (Kierkegaard), la dynamique du bouc émissaire (René Girard), ou le rejet de ce qui menace l’ordre social (Norbert Elias).
Si leurs outils d'analyse diffèrent, il reste précieux d’entendre leurs tentatives d’explication de cette hostilité, souvent irrationnelle, afin d’en comprendre la complexité.

Ce que nos maîtres disent du point de vue spirituel, certains penseurs non juifs l’ont perçu du point de vue moral.

Albert Camus, disait que le judaïsme est la mémoire de la révolte juste, celle qui ne détruit pas l’homme au nom d’une idée, mais qui cherche à lui rendre sa dignité.
T.S. Eliot, poète et penseur, a reconnu dans le judaïsme une source de profondeur spirituelle et un lien essentiel avec les racines de la civilisation occidentale.
Paul Ricœur, philosophe français, a apprécié la richesse herméneutique et éthique de la Bible hébraïque comme fondement d’une réflexion universelle sur la condition humaine.

Ces penseurs, bien que différents, ont reconnu une même chose : le judaïsme est un miroir moral pour l’humanité.
Et, comme tout miroir, il dérange ceux qui ne veulent pas se voir. C’est peut-être là, au fond, que naît la haine, dans le refus de se confronter à sa propre image.

Mais c’est toujours en revenant à la sagesse juive que l’on trouve la clé véritable, celle qui éclaire non seulement le phénomène, mais aussi la réponse intérieure et spirituelle qu’il appelle.
Car il y a dans cette hostilité quelque chose de plus ancien, de plus enraciné, presque d’irrationnel.

Dans une vision plus ancrée vers nos sources, je citerai le Maharal de Prague (Tiférèt Israël) qui expliquait que la haine d’Israël est liée au fait que le peuple juif représente dans le monde l’idée d’unité spirituelle. Que chaque nation, chaque civilisation, développe une forme particulière d’existence.
Mais Israël, lui, porte la forme du tout, l’idée que la réalité est reliée à un seul principe : le divin.

Chez le Maharal, le concept de « forme » (צורה) ne désigne pas simplement une apparence extérieure, mais une structure profonde qui donne sens et unité à l’existence.
Dire qu’Israël porte la « forme du tout », c’est affirmer que ce peuple incarne une réalité intégrale où toutes les parties sont liées par un principe unique : le divin.

Autrement dit, Israël représente une harmonie spirituelle où l’ensemble de la création trouve sa cohérence, reflétant l’unité absolue de D-ieu dans le monde fragmenté.

Et c’est précisément cela qui dérange.
Car affirmer qu’il existe une unité supérieure, une loi morale qui dépasse l’homme, remet en cause l’illusion de la souveraineté absolue. Alors le monde préfère rejeter celui qui le rappelle à l’ordre.

Cette idée résonne aujourd’hui d’une manière troublante. Le rejet d’Israël s’exprime souvent au nom de la liberté, de la « justice » ou de la « résistance », mais il cache parfois une révolte plus profonde : le refus d’un sens qui dépasse la volonté humaine. C’est exactement ce que le Maharal annonçait : le conflit n’est pas seulement géographique, il est ontologique.

Notre rôle n’est pas de nous fondre dans ce monde, ni de le haïr, mais de lui rappeler ce qu’il a oublié : la valeur de l’homme, la fidélité, la justice. C’est un travail silencieux, souvent incompris, mais essentiel.

Le silence est une faute

Rav Moché Shapira, l’un des grands maîtres de la pensée juive contemporaine, disait que le silence d’Israël est le silence de D-ieu dans le monde. Quand nous cessons de parler, d’enseigner, d’expliquer, le monde perd le son de la vérité. Notre parole n’a pas besoin d’être criée, elle doit simplement exister.

Il disait souvent que la haine contre Israël n’est pas seulement une menace, mais une invitation à redonner du sens à la parole.
Dans un monde saturé de bruit, de slogans et de mensonges, la parole juive, celle qui relie, qui cherche la vérité, est déjà un acte de résistance spirituelle.
Écrire, enseigner, débattre, c’est continuer la mission d’Abraham Avinou. C'est ne pas laisser le monde oublier qu’il y a un ordre moral.

La réponse juive

Alors oui, la haine persiste, souvent irrationnelle, parfois féroce. Mais ce n’est pas une raison pour se taire ou se replier.
La réponse juive n’a jamais été le silence.

Elle a toujours été la parole, l’étude, la fidélité au vrai.
Mais c’est ainsi que l’on garde le monde respirable.
Et c’est déjà beaucoup.
En fin de compte, je n’écris pas pour convaincre ceux dont la haine est scellée, mais pour rappeler qu’il existe encore des voix qui refusent l’aveuglement.

Citer nos Sages, nos penseurs, c’est raviver une mémoire morale que le monde tente souvent d’oublier.

Et si, au milieu du vacarme, ne serait-ce qu’une conscience s’éveille, alors cette parole n’aura pas été vaine.