Le Chém'a Israël de Gali et Ziv Berman
Il y a des images qui ne s’effacent pas.
Deux jeunes hommes, les membres encore marqués des chaînes de l’enfer, et ce n’est pas une métaphore, enroulent autour de leur bras les lanières des Téfilines.
Ce geste, d’une simplicité bouleversante, devient un cri silencieux, un Chéma' Israël arraché à l’obscurité.
Car il n’est pas de plus grande victoire que celle de l’esprit sur le mal.
Dans ce moment suspendu, l’âme humaine se redresse, défiant la haine, rappelant au monde que la lumière ne s'est jamais éteinte.
Gali et Ziv Berman, jeunes Israéliens de 27 ans originaires du kibboutz Kfar Aza, menaient jusqu’au 7 octobre 2023 une vie ordinaire, sans lien marqué avec la pratique religieuse. Ce jour-là, ils furent arrachés violemment à leur foyer et emmenés séparément en captivité par le Hamas, où ils survécurent plus de 700 jours.
Ils nous offrent un miroir où se reflète la part la plus nue de l’âme juive : cette étincelle que ni la peur, ni la haine, ni l’oubli ne peuvent éteindre.
Le Baal HaTanya dans son Likoutei Amarim, (chap. 19) appelle cela l'étincelle intérieure (Nitsots Pénimi), souvent recouverte de cendres, mais jamais éteinte.
« L’étincelle intérieure de l’homme ne s’éteint jamais » - « הניצוץ הפנימי שבאדם אינו כבה לעולם »
Lorsque l’un d’eux posa les Téfilines pour la première fois depuis sa Bar Mitsva, c’est comme si, à travers ce geste, il reprenait contact avec la source même de son identité, celle que les terroristes du Hamas n’ont pu atteindre.
Freud parlerait ici de « reconnexion symbolique », d’un retour au « soi » profond après la déshumanisation.
Mais dans notre tradition, ce retour a un autre nom : Téchouva. Un mot qu’on traduit mal, car il ne s’agit pas seulement de « repentir », mais de « retour », un retour à soi-même et à D-ieu.
La foi qui renaît sur les cendres du désespoir
Il est bouleversant de voir que parfois, la foi ne renaît pas seulement dans le confort de l'étude d'un texte de Guémara ou dans un Beit Hamidrach, mais aussi au cœur même de la détresse, quand tout s’effondre. Le Midrach enseigne que « du fond de la détresse, l’âme crie vers son Créateur » (Tehillim 130).
C’est dans la fracture que se glisse la lumière.
Et peut-être est-ce là le secret le plus profond de notre peuple. Notre foi n’est pas née dans les palais, mais dans les déserts.
Le Rav Kook écrivait : « Quand l’esprit humain se trouve brisé, la lumière divine y pénètre plus aisément, car il n’y a plus de mur pour l’arrêter. »
Rav Wolbe ('Alé Chor), insiste sur le rôle des gestes concrets et des rituels pour reconstruire le cœur et l’esprit après le chaos. C'est un chemin de guérison à la fois psychologique et spirituelle.
Rav Moché Shapira, quant à lui, souligne que le retour à la lumière divine passe par le discernement intérieur (Da’at), qui permet à l’homme de reconnecter sa souffrance à un sens plus vaste, et de transformer l’épreuve en sanctification la vie.
Ainsi, pour ces jeunes hommes, le geste de mettre les Téfilines ne fut pas une simple reprise de routine religieuse, mais un acte de renaissance spirituelle. Le signe éclatant que la foi d’Israël n’est pas seulement héritée, elle vit, elle palpite encore, même au seuil du gouffre.
Comment retourner à la vie
Sur le plan psychologique, ce moment est révélateur de ce qu’on appelle une ritualisation réparatrice. Cela désigne le fait qu’une personne, confrontée à une rupture, ou un traumatisme, recrée un geste symbolique, une parole ou un acte qui lui permet de réintroduire du sens et de la cohérence là où tout s’était défait.
Les rituels juifs, comme les Téfilines, la prière, le Chabbate servent souvent de cadre au retour à la stabilité après le chaos. Ils réintroduisent du sens et surtout de la maîtrise. Après deux années de perte totale de contrôle, un simple geste codifié peut recréer un sentiment d’ordre intérieur.
Mais plus profondément encore, ces rituels ne sont pas seulement des outils psychiques. Ils symbolisent des ponts entre l’homme et le divin, des structures de mémoire qui rappellent à l’âme qu'elle n’a jamais été seule.
Même dans l’obscurité de Gaza, le fil invisible de la prière d’Israël ne s’est jamais rompu.
L’écho provenant du mont Sinaï
Ce que les jumeaux Berman nous enseignent n’est pas seulement une histoire de survie. C’est une parabole vivante : celle d’un peuple qui, chaque fois qu’il semble sombrer, renaît en enroulant autour de son bras le souvenir du Sinaï.
La foi juive n’est jamais étrangère au Juif, même pour ceux qui l’ont laissée dormir, elle reste une flamme latente. Ce retour n’est pas une nouveauté, mais une retrouvaille. Un retour vers la lumière reçue lors du grand événement au mont Sinaï. Un retour à la Révélation qui a inscrit dans notre peuple un fil invisible et indestructible vers le divin.
La Kabbala nous enseigne que les Téfilines du bras symbolisent le cœur, et ceux de la tête, la pensée. En les reliant, l’homme relie le cœur et l’esprit, l’émotion et la conscience, pour faire circuler la Présence divine à travers lui.
Peut-être est-ce cela que le monde a vu : deux frères qui, par ce geste, ont reconnecté leur douleur à leur sens, leur souffrance à leur espérance.
Et nous, spectateurs bouleversés, nous avons senti que quelque chose palpitait aussi en nous. La certitude que même l’enfer ne peut vaincre la lumière d’un peuple qui sait sanctifier la vie.