L'antisémitisme n’est pas une anomalie, c’est un révélateur. Il met à nu les nerfs de la civilisation comme l’acide dévoile les métaux. Et le Judaïsme n’a pas traversé l’Histoire comme un accident persistant, mais comme une conscience exigeante, qui provoque, éclaire, et refuse de se dissoudre.
La mécanique universelle du bouc émissaire

René Girard, anthropologue contemporain, a montré que les sociétés résolvent leurs tensions internes en désignant une minorité coupable, un bouc émissaire. Ce mécanisme est universel, mais dans l’histoire humaine, le Juif en est devenu la cible suprême.
Pourquoi ce peuple plutôt qu’un autre ?
Parce qu’il ne s’offre pas comme proie malléable.
Parce qu’il ne cède ni son D-ieu, ni sa Loi, ni sa singularité.
Parce qu’il oblige chaque civilisation à se regarder dans le miroir en refusant de se fondre dans ses mythes.
Rav Saadia Gaon : « Notre nation n'est pas une nation que par la terre, mais par la Torah. » (Emounot Védé'ot)
Le Rambam, dans son Guide des égarés, enseigne que l’authenticité morale ne se négocie pas avec les puissants ni avec les modes.
Autrement dit, cela signifie que dans des sociétés où l’on valorise fortement l’uniformité que ce soit culturelle, idéologique ou sociale, toute différence radicale devient suspecte, voire intolérable. Un peuple qui refuse de s’assimiler, qui conserve une identité distincte et immuable, dérange cette homogénéité.
La logique haineuse traverse les âges, prenant des visages différents mais obéissant à la même pulsion : détourner la colère du peuple vers un bouc émissaire commode.
Dans l’Antiquité, Néron et plus tard Titus ont utilisé le peuple juif pour canaliser les tensions d’un empire en déclin. Ils ont choisi un ennemi commode, les Juifs, symbole de différence et de résistance spirituelle.
Au Moyen Âge, des figures comme Philippe le Bel en France, Édouard Ier en Angleterre, ou encore les rois catholiques Ferdinand et Isabelle d’Espagne, ont exploité l’antisémitisme pour asseoir leur pouvoir. Sous l’égide de l’Inquisition, les accusations de meurtre rituel, de profanation d’hostie ou d’empoisonnement des puits servaient à détourner les peurs économiques et spirituelles.
À l’époque moderne, l’antisémitisme s’est paré de vernis intellectuel. Des écrivains ou idéologues comme Édouard Drumont, Roger Garaudy ou Louis-Ferdinand Céline ont travesti la haine en critique politique ou culturelle. Aujourd’hui encore, des figures médiatiques comme Dieudonné ou Alain Soral propagent ces poisons anciens sous les habits neufs d'un antisionisme virulent, théorie du complot.
De l’empereur romain au polémiste contemporain, le même réflexe persiste : accuser le Juif pour dissimuler la propre faillite morale du monde.
Ces logiques sont dénuées de fondement historique ou rationnel, mais s’enracinent dans un malaise profond de sociétés cherchant un ennemi facile à blâmer.
Le Juif, écran de projection

Chaque peuple porte une idée qui lui est propre, mais le Judaïsme incarne celle d’une morale absolue, d’un Bien qui ne se négocie pas.
Ce n’est pas une supériorité qu’il revendique, mais la charge d’être la conscience du monde, rappelant qu’il existe un tribunal plus haut que celui des hommes
Rav Dessler, dans son Mikhtav meEliyahou, souligne que la vérité exige responsabilité, et le monde est irrité par ceux qui refusent de vendre leur âme pour la paix sociale.
Le Juif devient ainsi surface de projection des frustrations collectives. On lui reproche d’être pauvre parmi les riches, riche parmi les pauvres, cosmopolite parmi les nations, trop religieux pour les laïcs, trop laïc pour les religieux. Ce n’est pas cohérent, c’est révélateur.
Pourquoi lui et pas d'autres ?
Chaque civilisation a tenté d'absorber, de remodeler, d'éliminer,
d'assimiler, et surtout d'instrumentaliser le Judaïsme selon ses propres besoins. Aucune n’y est parvenue.
Ce peuple devient la cible privilégiée d’un mécanisme social universel. Pour apaiser les tensions internes, la société projette ses frustrations sur un bouc émissaire à exclure ou à sacrifier. Le Juif, minorité attachée à sa singularité, est souvent pris pour cible non par raison, mais parce que sa fidélité à ce qui échappe à la norme dérange le besoin d’uniformité de la majorité.
Pourquoi ? Parce que, comme disait le Rav Hirsch, "le Judaïsme n’est pas une culture parmi d’autres, ni un ensemble de coutumes nationales façonnées par l’histoire ou la géographie. Ce n’est pas un folklore transmis de génération en génération. C’est une vocation, une alliance vivante entre
D-ieu et un peuple choisi pour porter Sa parole dans le monde".
Le Judaïsme n’a pas survécu, il a interpellé
Le Midrache exprime tout cela par une clé lumineuse et profonde du Judaïsme. Celui-ci ne s’est jamais contenté de vivre en marge des empires. Il les a confrontés, défiés par des thèses morales qui dépassent l’histoire elle-même.
C’est à dire que chaque empire fut une étape d’un dialogue aigu avec la conscience universelle incarnée par Israël.
Égypte : la dignité n’est pas propriété du pouvoir
Le Midrache (Chemot Rabba) enseigne que Par'o s’imaginait maître du monde parce qu’il possédait et manipulait les hommes. Or, la Torah enseigne, que la vraie grandeur réside dans la reconnaissance de la dignité inhérente à chaque être humain. C'est à dire que la dignité humaine n’appartient à aucun pouvoir, qu’aucun homme n’a autorité sur l’âme d’un autre. C’est cette idée qui menace tous les tyrans, anciens ou modernes. La haine du Juif naît toujours du même réflexe : le refus d’un pouvoir absolu de tolérer un peuple qui reconnaît un autre Souverain que lui.
Cela inaugure la séparation radicale entre la puissance et la justice, entre l’autorité et la responsabilité. L'Egypte représentait la première fissure dans le mythe de la souveraineté absolue.
Assyrie/Babylonie : incarne la domination par la terreur.
Les prophètes Na'houm et Icha'ya dénonçaient déjà ce système. La violence aveugle n’est pas éternelle, elle est condamnée parce qu’elle nie le principe moral. L'Assyrie ne peut supporter qu’un petit peuple ose affirmer que la victoire militaire n’est pas la vérité morale.
Rav Saadia Gaon, parle de la Providence qui punit les empires oppresseurs. Cela montre que même le pouvoir le plus brutal est limité par la logique morale portée par Israël.
Perse antique : la fidélité vaut plus que les stratégies de cour
Le royaume perse valorise la diplomatie, la gestion pragmatique. Mais le Midrache (Méguilat Esther) insiste sur la loyauté à la Torah et à l’alliance divine. Celles ci dépassent les calculs subjectifs humains. Sous la Perse, le refus d’Israël de se plier est perçu comme une révolte politique. Un peuple qui se soumet à ses propres lois, ses coutumes, sa Torah, semble menacer la cohésion impériale. Impenssable!
Athènes : la raison sans éthique n’est qu’esthétisme cérébral
Le dialogue aristotélicien et la pensée grecque en général, ont ébloui le monde, mais le Judaïsme est resté sur ses gardes en critiquant la séparation entre le savoir et la vertu. Avec la Grèce, cette tension devient philosophique et culturelle.
Elle ne reproche pas au Juif de ne pas obéir au roi, mais de ne pas penser comme tout homme "éclairé". Elle veut imposer une logique propre déconnectée de la Torah. La Grèce cherche à effacer du juif sa différence intérieure.
Le Rambam affirme que la raison doit être au service de la vérité divine, pas seulement de la spéculation intellectuelle (Guide des égarés).
La sociologie moderne montre que cette critique perdure. Les sociétés rationnelles sans fondement moral sombrent dans le relativisme.
Rome : la loi doit servir la vie, pas la dominer
Rome représente la loi sans transcendance, la loi qui se justifie par elle-même, qui protège l’ordre avant de protéger la vie.
Tout l'enseignement dans le Talmud est dirigé vers la loi. Celle-ci n’a de valeur que si elle est le reflet de la justice divine : c'est-à-dire d’une éthique qui place la dignité humaine au-dessus de l’empire.
C’est là que naît la haine du Juif et il devient le témoin vivant d’une limite posée au pouvoir. Il incarne le rappel constant qu’aucun empire, aucune civilisation, ne peut se prendre pour D-ieu. Le judaïsme a démontré que la loi devient un lieu de tension entre pouvoir et conscience.
Chrétienté médiévale : la foi sans action est rhétorique.
Le christianisme naissant a voulu se définir en opposition à Israël. Pour légitimer sa lecture du monde, il a dû présenter le Juif comme celui qui aurait « refusé la vérité », celui qui aurait « tué le fils de D-ieu ». Ce renversement théologique, le peuple témoin transformé en peuple coupable, devient la racine spirituelle de deux millénaires d’antijudaïsme chrétien.
Pour le Midrache, le dialogue avec le christianisme est un combat spirituel.
Le judaïsme consolide l’affirmation de la foi active, la résistance face à l’oppression religieuse.
Islam classique : D-ieu est Un, mais l’homme n’est pas marionnette.
L’Islam classique a revendiqué, comme le Judaïsme, la proclamation de l’Unité divine. Mais là où le Judaïsme affirme le partenariat entre Dieu et l’homme « Na’assé véNishma », l’engagement libre, la théologie islamique a penché vers une vision fataliste, où tout dépend exclusivement de la volonté d’Allah. C’est précisément sur ce point que naît une tension profonde. Le Juif rappelle au monde musulman que croire en un D-ieu unique ne suffit pas. Il faut aussi reconnaître la liberté de l’homme, sa responsabilité et sa capacité de moralité autonome.
Rav Soloveitchik souligne que la liberté de conscience est une conquête juive et une revendication universelle. C’est la résistance à toute théocratie absolue.
Shoah : le progrès sans morale engendre la barbarie rationnelle.
Zygmunt Bauman (1925-2017) est un sociologue et philosophe polonais d’origine juive, connu pour ses analyses de la modernité et de la morale.
Dans son œuvre majeure Modernité et Holocauste (1989), il soutient que la Shoah n’a pas été un accident barbare en marge de la civilisation, mais le produit logique d’une modernité rationnelle, technocratique et déshumanisée.
Selon lui, la bureaucratie, l’obéissance administrative et la séparation entre l’acte et la conscience morale ont rendu possible l’extermination de plus de 6 millions de juifs.
Bauman en conclut que la civilisation moderne n’a pas aboli la barbarie, elle l’a rendue plus efficace par le calcul, la planification et la neutralité morale et la modernité révèle sa faille morale.
L’élection de Zohran Mamdani et la crise identitaire des Juifs américains

Deux symptômes d’un même malaise ! L’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York n’est pas un simple caprice électoral. C’est un signal clair. Un militant anti-Israël, façonné par des années d’agitation pro-palestinienne, triomphe dans la capitale juive de l’Occident, avec le soutien, parfois enthousiaste, parfois naïf, d’une partie des Juifs eux-mêmes.
Mais ce phénomène va bien au-delà d’une élection. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, et plus récemment depuis les tragiques événements du 7 octobre en Israël, une crise identitaire profonde s’est installée au sein des Juifs américains. Et particulièrement dans les mouvements réformistes et libéraux qui représentent environ 40 % de la diaspora américaine.
Il ne s’agit pas simplement d’un éloignement, mais d’un véritable détachement culturel et cultuel. Cela a déconnecté ces communautés de leurs racines juives, d’abord spirituelles mais aussi traditionnelles. Ce n’est plus un simple éloignement, c’est une mutation qui dévoie le judaïsme et son aspect halakhique, l’adaptant souvent à des convenances personnelles et sociétales.
Ces mouvements corrosifs construisent des « temples » pour un judaïsme déformé, où cohabitent pratiques marginales et ruptures évidentes avec la tradition. On peut assister à des célébrations de Bar Mitsva pour un chien, à des consécrations de femmes rabbins, ou encore de rabbins transgenres et homosexuels. Ce judaïsme, englué dans un confort identitaire excessif, s’éloigne même des fondamentaux halakhiques du peuple juif. Il ouvre la voie à des mariages mixtes massifs qui fragilisent à terme la cohésion interne et l’identité collective de la communauté juive américaine.
Ce processus est aggravé par la gauche israélienne contestataire, dont les discours et actions salissent à la fois le judaïsme et l’État d’Israël dans l’esprit de nombreux Juifs américains (et pas seulement). Cette contestation radicale, souvent relayée par les médias et réseaux sociaux, nourrit une désillusion croissante, un rejet des valeurs traditionnelles juives et du sionisme religieux, affaiblissant ainsi le sentiment d’appartenance.
Au cœur de cette dynamique, l’influence pernicieuse du ’Erev Rav, cette « foule mêlée » qui s'est infiltrée dans le peuple d’Israël. Le ’Erev Rav trouve son origine dans le récit de la sortie d’Égypte, où une multitude hétérogène non juive s’est jointe aux enfants d’Israël sans partage authentique de leur destinée spirituelle. Cette « foule mêlée » incarne dès lors une présence ambivalente, porteuse de tentations et de troubles qui menacent la pureté et l’unité du peuple élu. Selon le Rav Kook et le Rav Dessler, cette foule a pour mission de semer la division et la confusion spirituelle. Aujourd'hui, elle symbolise la gangrène interne qui mine la fidélité à la Torah et affaiblit la cohésion juive.

Il faut rappeler l’épisode tragique de l’Allemagne nazie. Même les Juifs les plus assimilés, cultivés et patriotes furent persécutés. Qu’ils soient croyants ou athées, religieux ou laïcs, leur intégration n’a rien changé. Pour les nazis, un Juif restait un Juif. Cette tragédie révèle une vérité implacable : s’éloigner de sa source spirituelle ne protège pas du regard haineux des nations, car la haine antisémite ne se nourrit pas de la différence religieuse, mais de l’existence même du peuple juif.
Un peuple affaibli, désorienté, qui lutte avec ses propres contradictions devient une proie vulnérable aux attaques extérieures. La fracture interne et le rejet de son essence historique créent un terrain fertile où la haine ancestrale prospère, même face à l’illogisme le plus criant.
Comme le rappelait le Rav Sa'adia Gaon, la survie d’Israël est indissociable de sa fidélité à la Torah. Sans cette racine vitale, le peuple perd son fondement, son âme et sa raison d’être.
Et pourtant, paradoxe éternel, c’est là que se lit notre singularité. Quand bien même le monde se retourne contre lui, Israël ne lui renvoie ni haine ni peur. Il demeure obstiné, fidèle à sa foi en la dignité humaine et à la responsabilité morale. C’est cette persévérance qui irrite profondément, pas le pouvoir, mais l’espérance.
L’antisémitisme n’est pas seulement une obsédante haine du Juif. C’est un aveu d'une faiblesse fondamentale ou un malaise profond chez ceux qui nourrissent cette haine. Chaque civilisation qui a voulu le briser s’est écroulée. Chaque société qui a su marcher à ses côtés a grandi, s’est éclairée, a respiré plus haut. Le judaïsme n’est pas un vestige. C’est une proposition. Et l’Histoire choisit toujours son camp.
Conclusion
L’antisémitisme n’est pas l’histoire d’un peuple méprisé. C’est l’histoire d’un peuple qui, par sa simple existence, révèle la vérité du monde. Un peuple qui refuse d’être ce que le monde attend de lui. C'est-à-dire, une conscience renonçant à la sienne, une lumière qui faiblit mais sans jamais se soumettre aux ténèbres.
Le Judaïsme n’est pas un survivant. Il est une proposition. Et chaque génération décide si elle veut marcher avec lui ou lui faire la guerre. Et cette constance a toujours enragé les frustrés et les haineux.
L’histoire montre que ceux qui lui firent la guerre finissent par s’effondrer. Et ceux qui marchèrent avec lui devinrent plus nobles.