La libération des otages selon la vision de la Torah

 
Fallait-il conclure cet accord avec les assassins du Hamas pour libérer les otages ? La question peut sembler saugrenue, déplacée, cruelle, voire indécente. Pourtant, le sujet a été analysé et débattu par le Talmud et les décisionnaires et reste un sujet de discorde parmi les responsables politiques

Les Fondements et l'Importance du rachat des captifs

La Guémara enseigne : « אין לך מצוה גדולה כפדיון שבויים »,
« Il n’est pas de Mitsva plus grande que la libération des captifs » (Talmud Baba Batra 8b).

Rabbi Yo'hanan affirme même que la captivité est la pire de toutes les souffrances, car elle inclut :

  • La Faim et la Soif : Le captif est à la merci de ses geôliers pour sa subsistance.
  • Le Dénuement : Il est souvent dépouillé de ses vêtements et de ses biens.
  • Le Danger de Mort : Sa vie est constamment en péril.
  • La Souffrance Psychologique : Il subit l'isolement, la peur, l'humiliation et le risque de conversion forcée.

Le Choul'hane ‘Aroukh (Yoreh De'ah 252:3) va jusqu'à dire que « chaque instant de retard à racheter les captifs, lorsque c'est possible, est considéré comme une effusion de sang ».

Les Modalités et les Limites de la Mitsva

L'application de cette Mitsva n'est cependant pas sans limites. Conscients des risques, les Sages ont établi des règles pour encadrer cette Mitsva afin de protéger la communauté dans son ensemble.

Surtout, ne pas encourager les ravisseurs (דלא ליגרבו ולייתו טפי) en rendant la prise d'otages juifs une activité particulièrement lucrative.

Ainsi, il existe un principe halakhique : « ne pas  payer trop cher  pour les captifs » - « אין פודין את השבויין יתר על כדי דמיהן, מפני תיקון העולם »

« On ne rachète pas les captifs au-delà de « leur valeur », à cause de l’ordre du monde (l’équilibre collectif). » (Traité Guittin, chapitre 4, Michna 6).

Rachi, dans son commentaire sur le Talmud (Guittin 45a), explique : « Afin que les ennemis ne s'empressent pas de faire des captifs dans le but d'augmenter le montant de leur rançon ».

Le Rambam codifie cette loi dans le même sens, (Michné Torah, Lois sur les Dons aux Pauvres (Hilkhote Matanot Aniyim, chap. 8, Halakha 12). « On ne rachète pas les captifs pour plus que leur valeur, pour le bien du monde (Tikoun Olam) » La raison invoquée, « pour le bien du monde (ou l’ordre du monde) », suggère des considérations pragmatiques et sociétales qui transcendent le cas individuel du captif.

Le principe de Pidyon Chévouyim (Rachat des captifs) reste d'une actualité brûlante, notamment dans le contexte actuel de l'État d'Israël. Les débats sur les échanges de prisonniers terroristes contre des soldats ou des civils israéliens sont des applications directes et complexes de cette Halakha .

Le dilemme oppose constamment :

  • L'impératif moral et religieux de sauver une vie en danger.
  • La responsabilité collective et la sécurité nationale, qui exigent de ne pas céder à des demandes qui pourraient encourager le terrorisme et mettre en danger un plus grand nombre de vies à l'avenir.

La valeur de la vie humaine

Nos Maîtres enseignent dans la Michna (Sanhédrin 4,5) :

כל המאבד נפש אחת מישראל – מעלה עליו הכתוב כאילו איבד עולם מלא ; וכל המקיים נפש אחת מישראל – מעלה עליו הכתוב כאילו קיים עולם מלא.
Celui qui détruit une seule vie – c’est comme s’il anéantissait toute la création ; celui qui sauve une seule vie – c’est comme s’il recréait le monde de nouveau.

Pourquoi l’homme a-t-il été créé unique, Adam seul au milieu de l’univers ? Pour nous apprendre qu’une vie n’est pas une statistique, ni un fragment parmi d’autres. Une vie est un monde entier.

Cette parole des Sages prend aujourd’hui une résonance brûlante. Nous voyons de nos yeux un peuple qui pleure et qui espère, un peuple qui ne se résigne pas à l’absence de ses enfants prisonniers dans l’obscurité. Et quand vingt otages sortent enfin des geôles de Gaza, ce ne sont pas seulement vingt personnes qui respirent à nouveau l’air de la liberté : ce sont vingt mondes, vingt univers de lumière, vingt créations qui renaissent.

Chaque otage est un monde : un père dont les enfants retrouvent les bras, une mère dont la maison retrouve la voix, un enfant dont l’avenir est rendu possible.

Le Talmud dit encore : « כל אחד ואחד חייב לומר : בשבילי נברא העולם »« chacun doit dire : C’est pour moi que le monde a été créé » (Sanhédrin 37/1). Lorsque ces captifs franchissent la frontière, c’est comme si le monde entier se recréait à travers eux.

Et plus encore : la libération d’une seule âme éclaire non seulement sa propre vie, mais aussi la vie de tout un peuple. Car lorsque nous disons : « celui qui sauve une seule vie – c’est comme s’il recréait le monde de nouveau ».

Nous comprenons que sauver une seule personne redonne foi et courage à tout Israël. Ainsi, vingt sauvetages sont vingt mondes, mais aussi vingt rayons qui percent l’obscurité et régénèrent la flamme de vie de toute une population.

le principe du danger de mort (פיקוח נפש)

On ne s'étonnera donc pas que la situation de « danger de mort » repousse quasiment toutes les interdictions. Le but des commandements est de soutenir et d'enrichir la vie, et non de la détruire. Par conséquent, lorsqu'une vie est en danger, presque toutes les lois de la Torah, y compris les plus sacrées comme le respect du Shabbat ou de Yom Kippour, sont non seulement suspendues, mais il devient une obligation de les transgresser pour sauver cette vie. 

Cependant, Face à une menace de mort, il y a trois transgressions qu'un Juif ne doit jamais commettre, même si cela doit lui coûter la vie : l'idolâtrie, les unions sexuelles interdites, et le meurtre.

Le risque dans le contexte actuel

L’accord prévoit de libérer 20 otages contre 2000 prisonniers dont 250 d’entre eux sont des criminels dangereux avec pour certains, du sang sur les mains. Ces prisonniers libérés peuvent potentiellement redevenir meurtriers et mettre en danger le peuple d’Israël.

« Nous libérons potentiellement le prochain Yahya Sinouar », a averti un haut responsable israélien, en référence au défunt chef du Hamas et architecte du 7 octobre, qui avait été libéré en 2011 aux côtés d’un millier d’autres prisonniers, contre le soldat israélien Gilad Shalit. « Ce sont des individus extrêmement intelligents et dangereux. Nous devons savoir qui ils sont et de quoi ils sont capables », a ajouté la source.

Cela signifie qu’il y a une véritable crainte que « sauver un monde » aujourd’hui entraîne la perte de plusieurs mondes demain.

Quand le Maharam de Rothenburg refusa qu’on paye sa rançon

Nombreux sont ceux qui rapporte l’histoire édifiante du Maharam de Rothenburg pour soutenir leur refus de payer le prix exorbitant de la libération des prisonniers pour le retour des captifs.

Rabbi Méir ben Baroukh (le Maharam), universellement reconnu comme la principale autorité en matière de Talmud et de loi juive au treizième siècle, fut emprisonné dans la forteresse d’Ensisheim en Allemagne et soumis à une rançon outrancière.
Mais Rabbi Méir, interdit à ses amis et à ses disciples de payer une rançon pour lui. Il savait qu’une fois la rançon payée pour lui, tous les rabbins connus en Allemagne seraient arrêtés et retenus contre rançon par les gouvernants allemands avides et cruels de l’époque. C’est pourquoi Rabbi Méir préféra se sacrifier et rester en prison, et même y mourir, afin de sauver beaucoup d’autres d’un sort similaire.

Mais les situations ne sont pas comparables :
- Le Maharam n’était pas en danger de mort et ne subissait pas des sévices quotidiens.
- Le refus de payer était le fruit de son initiative personnelle.
- Le risque de susciter d’autres enlèvements était évident dans le contexte historique en Allemagne à cette époque.

Dans le cas présent :
- Les otages sont en danger de mort (פיקוח נפש) violente ou à petit feu.
- Il n’y a aucun doute qu’ils prient tous les jours pour qu’on les sorte de cet enfer.
- Les ennemis des juifs et d’Israël foisonnent dans le monde prêt à commettre des attentats. Le but déclaré du Hamas est l’éradication des juifs et la suppression de l’état d’Israël. La prise d’otage fait partie de toute manière de ce plan macabre. On peut donc affirmer que la libération de ces prisonniers ne sera pas pour eux une incitation à prendre des otages puisque c’est leur stratégie depuis des décennies.
- la dangerosité de ces terroristes libérés est tempérée par le fait qu’ils seront surveillés constamment comme le lait sur le feu pour les empêcher de réitérer leurs actes barbares.

Le doute et la certitude

Par ailleurs, il existe un principe fondamental de la loi juive discuté et appliqué dans de nombreux passages à travers différents traités ('Houlin 10a, Yevamot 38a, et autres) qui se formule ainsi : « אין ספק מוציא מידי ודאי ».  La traduction littérale est :« un doute ne peut annuler une certitude ».

Dans la situation présente nous devons considérer deux éléments :
Une certitude : les otages sont en danger de mort imminente.
Un doute : les prisonniers libérés peuvent perpétrer des attentats, mais ce n’est qu’une éventualité dans un temps futur.

Bien que ce principe ne puisse pas s’appliquer à notre cas selon la loi stricte, Il établit néanmoins une hiérarchie claire entre la certitude et le doute, donnant la préséance à ce qui est établi, le danger immédiat pour les otages.

C’est en l’occurrence ce qui semble être la position du Rav Ovadia yossef dans son Responsa « Yabia Omer » (volume 10, Hochen Michpat, Chapitre 6) à propos des otages d’Entebbe : » Il semble qu’il faille plus se soucier du danger immédiat qui plane sur les centaines d’otages… Quant au danger futur de la libération de quarante terroristes, il n’est pas aujourd’hui d’actualité mais concerne un futur lointain ». (Réponse rédigée avant l’intervention libératrice de l’armée israélienne).
A noter que le Rav Itshak Yossef a trancher ce vendredi en faveur de l’accord d’échange.

Compte tenu de tous ces éléments, il apparait qu’il convient d’œuvrer à la libération des otages qui sont en danger immédiat malgré le potentiel dangereux des prisonniers libérables.