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L'héritage infernal

Mardi 28 Juin 2011 | 18h03  
 
 
 
 


Günter vit en Israël depuis plus de 40 ans. S’il ne s’est pas converti,
ses enfants l’ont fait. L’un est même ultraorthodoxe © RTBF
Certains ont des noms très lourds à porter, d'autres sont simplement allemands. Tous, dans ce document, ont une obsession : réparer les torts causés aux Juifs par les nazis.

Ils s'appellent Göring, Goebbels ou Himmler, ils sont des descendants de nazis et ils vivent… en Israël. C'est un fait qu'on ignore, mais plusieurs centaines d'Allemands sont partis s'installer dans l’état hébreu, auprès des victimes de leurs ancêtres, et beaucoup se sont même convertis au judaïsme. Comme s'ils portaient la culpabilité, la responsabilité des actes commis par les leurs.

L'héritage infernal (l'émission de télévision Belge) est allé à la rencontre de quelques-uns de ces Allemands. Mathias Göring est le petit-neveu du bras droit de Hitler, celui qui a été l'initiateur de la Solution finale. Il n'a pas renié son nom – ce serait s'avouer à lui-même qu'il est personnellement coupable – mais il a quitté son pays à l'âge de 24 ans pour s'installer en Suisse. Il se rend très souvent en Israël, où il a noué des liens profonds, notamment avec un survivant de la Shoah. Et, après avoir découvert Dieu, il s'est tourné vers la Torah.

Yoram était né Knut. Fils d'un ancien nazi, qui est encore vivant et convaincu par l'idéologie du IIIe Reich, il s'est établi en Israël il y a une trentaine d'années, parle hébreu, s'est converti au judaïsme et a épousé une Suissesse juive, dont il a eu quatre filles, forcément juives elles aussi – l'unique descendance de ce grand-père nazi…

Tous ceux qui se sont installés en Israël ne sont pas devenus juifs. Tout jeune à la fin de la guerre, Günter (dont le père a été tué sur le front de l'Est) ne voulait plus appartenir au peuple allemand, il voulait réparer le mal fait. Après avoir effectué plusieurs missions en Israël, il s'y est installé et a épousé une Allemande qui avait suivi le même parcours que lui. Il a ouvert un centre pour enfants handicapés et une maison de retraite pour rescapés de la Shoah en fin de vie. Il ne s'est pas converti (même s'il croit en la Torah), mais ses cinq enfants l'ont fait – l'aîné est même ultraorthodoxe.

Même de très jeunes Allemands qui n'ont aucun lien de parenté avec d'anciens nazis ressentent le besoin de faire quelque chose. Chris et Friedrich sont volontaires en Israël pour un an, l'un travaille à Yad Vashem, le mémorial de l'Holocauste, l'autre dans une maison de retraite qui accueille des survivants.

En se déclarant tous non coupables à Nuremberg, les dignitaires nazis ont rejeté, comme un fardeau, la culpabilité sur les générations suivantes d'Allemands. Et ce sont aujourd'hui des survivants qui aident ces Allemands à faire la paix avec eux-mêmes.

Source : lesoir.be

D’autres articles s’étaient déjà penchés sur le phénomène dans un passé proche. En voici deux exemples :

DU CAMP DES COUPABLES À CELUI DES VICTIMES – Un parent d’Hitler avec kippa!

Pourquoi certains enfants de nazis ont-ils choisi de se convertir au judaïsme ? Une journaliste du Guardian a mené l’enquête en Israël. Tanya Gold, The Guardian - traduit par Courrier international le 25 septembre 2008 Il y a deux ans, j’ai lu dans une obscure revue américaine s’adressant à la communauté juive orthodoxe un curieux petit article qui affirmait qu’un descendant d’Adolf Hitler s’était converti au judaïsme et vivait en Israël. Cela faisait des années que des rumeurs circulaient dans les milieux juifs sur les “pénitents”, des enfants de nazis devenus juifs pour tenter d’expier les péchés de leurs pères. Se pouvait-il qu’elles fussent fondées ? En cherchant un peu, j’ai découvert qu’un homme ayant des liens de parenté avec Hitler vivait bien en Israël et qu’il était juif orthodoxe. Son existence avait été rendue publique il y a sept ans par un tabloïd israélien, mais l’information était passée pratiquement inaperçue dans le monde anglo-saxon. Puis on n’avait plus entendu parler de lui. Je suis allée en Israël pour le rencontrer. Ce qui m’a amenée à faire une plongée dans l’étrange monde des juifs descendants de nazis.

Ma première visite a été pour Aaron Shear-Yashuv. Ce fils de nazi, qui a été rabbin dans l’armée israélienne, vit dans un appartement du quartier juif de la vieille ville de Jérusalem, près du mur des Lamentations. Un quartier où l’on croise surtout des juifs orthodoxes vêtus de longs manteaux noirs et de chapeaux bordés de fourrure. Quand Shear-Yashuv ouvre la porte, je découvre un homme qui ressemble à tous les autres rabbins que j’ai rencontrés dans ma vie, avec son costume noir, sa barbe et son haussement d’épaules interrogateur. Il m’entraîne dans son bureau, s’installe dans un fauteuil et dit avec un fort accent allemand : “Mon père était dans la Waffen-SS.”

Il est né, m’explique-t-il, dans la vallée de la Ruhr en 1940. Durant la guerre, son père a servi dans les troupes d’élite d’Hitler sur le front de l’Est. Que faisait son père dans la Waffen-SS ? “Je ne sais pas, me dit-il calmement. Une fois devenu grand, j’ai essayé de savoir, mais je n’ai jamais vraiment obtenu de réponse.” Il avait 4 ans quand il a rencontré son père pour la première fois. “Je n’en garde aucun souvenir”, dit-il. Il ne veut manifestement pas parler de son père. Il décrit sa conversion en termes non pas psychologiques, mais théologiques et historiques. “Durant mes études théologiques à l’université, j’ai compris que je ne pourrais pas devenir pasteur dans un temple protestant. Je suis arrivé à la conclusion que le christianisme était une religion païenne. L’un de ses principaux dogmes est en effet que Dieu s’est fait homme ; or, si Dieu se fait homme, l’homme peut également se faire Dieu.” Après une pause, il ajoute : “Hitler est devenu une sorte de Dieu.”

Se serait-il converti au judaïsme même s’il n’y avait pas eu l’Holocauste ou si sa famille avait été opposée au nazisme ? Il semble surpris : “Mais oui !” J’essaie de ramener la conversation sur son père, mais il a l’air exaspéré. “Eh bien, c’était un père, bien sûr, mais, idéologiquement, il n’y avait aucun lien entre nous. J’étais si profondément convaincu que j’avais trouvé la bonne voie que tout le reste n’avait plus d’importance.”

Des bribes de son histoire finissent par émerger des brumes de son raisonnement théologique. Son père a été “choqué et furieux” quand il est allé étudier le judaïsme aux Etats-Unis, reconnaît-il. “Pour lui, c’était la fin du monde. Il m’a dit que j’étais fou et qu’il me reniait.” Quand il est ensuite parti en Israël, ses parents ont fait comme si rien ne s’était passé et ont dit à leurs voisins qu’il était toujours aux Etats-Unis. Des années plus tard, sa sœur a organisé une rencontre avec leurs parents dans une gare de Düsseldorf. Shear-Yashuv est arrivé avec un ami juif portant kippa. Quand son père, en se penchant par la portière, a vu ce dernier, il a refusé de descendre du train.

Aujourd’hui, il pense que l’Allemagne est perdue. “Les gens, là-bas, ne se marient pas et, quand ils se marient, ils n’ont qu’un enfant, dit-il. Mais les Turcs et les autres étrangers ont beaucoup d’enfants. Aussi, un jour viendra où l’Allemagne n’appartiendra plus aux Allemands.” A quoi attribue-t-il cela ? “Je pense que c’est une punition pour l’Holocauste, dit-il d’une voix neutre. L’Allemagne va disparaître de la scène de l’Histoire, ça ne fait aucun doute.” Mais les juifs, eux, ne mourront jamais. C’est un grand paradoxe de l’Histoire qu’il adore. “Toutes les grandes civilisations ont disparu. Les Romains, les Grecs, les Egyptiens, les Babyloniens. Mais pas ce petit peuple, qui a tant donné au monde”, dit-il avec un petit rire.

“Mon père m’a dit que c’était la fin du monde et qu’il allait me renier”

Je marche à travers la Vieille Ville en réfléchissant à ma rencontre avec cet homme étrange mais aimable. Je n’ai pas l’impression que son récit est complet. Se trouver face à un rabbin dont le père était un SS et l’entendre dire qu’il est devenu juif parce qu’il doutait de la Trinité relève de l’absurde. Je téléphone donc à Dan Bar-On, un professeur de psychologie de l’université Ben Gourion et un spécialiste mondialement connu de la psychologie des enfants de criminels. D’une voix impassible, voire impitoyable, il me dit : “Ces conversions s’expliquent par le besoin de s’intégrer à la communauté des victimes. Si vous faites partie de cette communauté, vous vous libérez du fardeau d’appartenir à celle des criminels.” Il a interviewé Shear-Yashuv pour son ouvrage L’Héritage du silence [éd. L’Harmattan]. “Pour moi, dit-il, Shear-Yashuv représente une personne qui a fui le passé.”

Quelques jours plus tard, je prends un bus déglingué pour me rendre au mémorial de l’Holocauste Yad Vashem, situé sur une hauteur de la périphérie de Jérusalem. Il y règne un silence absolu, comme artificiel. Au centre se dresse un mausolée de verre et de béton. Je suis ici pour m’entretenir avec une femme qui travaille au département pédagogique. Elle est née à Munich, m’a-t-elle dit au téléphone, et s’est convertie au judaïsme. Je la rencontre sur la terrasse d’un café. L’endroit est très chic, mais le vent souffle en provenance du désert. La femme approche de la quarantaine et sa tête est couverte. Son visage est typiquement allemand, mais ses manières – ses mouvements pleins d’emphase et la cadence crescendo de sa voix – sont tout à fait juives.

Je ne dois pas publier son nom, me dit-elle. (A l’exception de Shear-Yashuv, tous les convertis refusent que leur identité soit révélée.) Sur un ton brusque et agacé, elle me raconte, que même si ses grands-parents n’ont pas pris part à l’Holocauste, ils étaient spectateurs et antisémites. Sa mère, explique-t-elle, dit encore des choses comme “il y a un tas de juifs riches aux Etats-Unis” et sa famille s’en tient au “récit allemand classique” de la guerre. Elle serre les poings. “Nous ne connaissions aucun juif, nous ne savions rien.” Que ressentait-elle face à cela ? Elle marque une pause avant de répondre : “J’étais agacée.”

C’est son terme préféré pour l’Allemagne. Elle a été “agacée” quand une synagogue a été récemment ouverte à Munich. “Les gens disent : ‘Maintenant la boucle est bouclée, tout va bien’, observe-t-elle. Comme s’il ne s’était rien passé. Mais il y avait 11 000 juifs à Munich avant l’Holocauste. Où sont-ils, maintenant ?” Elle est également agacée par la richesse de l’Allemagne. “Tout est si propre !” s’exclame-t-elle. Pourquoi est-elle devenue juive ? “Parce que j’étais agacée par la manière dont on présentait les choses”, répond-elle. Elle me fait part d’un passage du Midrash, un commentaire juif de la Bible, qui dit qu’il existe des non-juifs nés avec une âme juive; ils appartiennent au peuple juif et finissent par le rejoindre. “Un jour ou l’autre, poursuit-elle sur un ton très sérieux, vous comprenez que vous devez vous convertir.” Je me souviens que Shear-Yashuv disait la même chose. Je lui demande si elle croit que les enfants de nazis se convertissent pour expier les fautes de leurs parents, mais cela la met en colère. “Ce n’est pas bien quand vous le faites pour vous débarrasser du fardeau allemand, dit-elle. Ce n’est pas honnête à mes yeux. Cessez-vous d’être la fille d’un soldat de la Wehrmacht lorsque vous devenez juif ? Non. Ce n’est pas la solution. Vous ne vous en débarrassez pas comme cela.” Alors, pourquoi est-elle ici ? “Pour vivre, pour travailler, pour servir de pont entre les deux mondes.” Elle répète le mot “pont” et le juge “exaltant”.

J’ai l’impression que les convertis ne me donnent que des demi-réponses, des éléments de réponse. Ils parlent de leur mépris pour la Trinité et des atrocités commises par les Allemands à l’encontre des juifs, mais c’est comme s’ils parlaient d’un génocide qui n’existe pas, même dans leur souvenir. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a autre chose.

Un peu plus tard dans la journée, je rencontre un jeune homme. Il se précipite dans un petit restaurant de kebab de la rue principale de Jérusalem-Ouest. Il a 24 ans, il est beau et nerveux. Il me dit avec une grande simplicité qu’il hait l’Allemagne. “En Allemagne, je ne me souciais de personne, lance-t-il. Je me foutais de tout.” Il parle de sa jeunesse agitée, de la manière dont il a été expulsé de l’école, s’est engagé dans l’armée, puis l’a quittée. Au bout d’un moment, il m’entraîne hors d’Independence Park en sirotant son Coca et en me disant combien tout est formidable en Israël.

Il me raconte qu’il a grandi dans une petite ville industrielle ouest-allemande. Une profonde colère filtre à travers son récit. Quand je lui demande pourquoi il s’est converti, il fixe les arbres chétifs, serre ses bras entre ses genoux comme un adolescent et dit qu’il ne s’est jamais bien senti en Allemagne : “Je n’ai jamais cessé de chercher ma place. Je haïssais le catholicisme. Je l’ai haï depuis l’âge de 14 ans.” “Je ne voyais pas ma famille comme des ‘Allemands’, poursuit-il. Je ne demandais pas : ‘Grand-père, est-ce que tu as tué quelqu’un ?’ Ma grand-mère nous tenait des discours du genre : ‘Notre enfance sous les nazis, avant la guerre, a été formidable. On nous envoyait en Croatie, en Suède… Et puis, il y avait les camps de jeunesse. Comment ne pas leur être reconnaissant de tout ce qu’ils nous ont donné ?’” L’Holocauste n’était qu’un sujet que l’on apprenait en cours d’histoire, ajoute-t-il. “Deux fois par semaine, nous allions en classe, ils nous en parlaient et nous nous endormions.”

Puis il me raconte une des anecdotes de sa grand-mère sur le nazisme. “Elle se souvient de la nuit de Cristal, me dit-il. Elle avait 13 ans. Elle se rappelle que des magasins juifs ont été incendiés et que c’était très embarrassant. Car, disait-elle, on pouvait toujours aller chez les juifs pour acheter quelque chose et, si on n’avait pas l’argent, on pouvait payer la fois d’après.”

Selon Bar-On, les convertis et leurs parents ne parlent presque jamais de la guerre. Il appelle cela le “double mur” : les parents et l’enfant dressent chacun un mur de silence, si bien que, même si l’un tente de le briser, l’autre le maintient fermement en place.

Cet homme a annoncé à ses parents son intention de se convertir un jour de Noël. Il a reçu, dit-il, des menaces de mort de la part de néonazis ; sa ville natale en est pleine. Est-il devenu juif à cause de l’Holocauste ? “Les gens me posent souvent cette question, dit-il, et quand je leur réponds que non, ils ne me croient pas.” En est-il vraiment convaincu ? “Peut-être.” Il soupire et regarde les arbres. Il hésite puis reprend : “J’ai l’impression de devenir moi-même un bloc de glace chaque fois que je retourne en Allemagne. Je dois me forcer à fondre à nouveau.”

J’appelle Bar-On une dernière fois. “Ils disent tous qu’ils sont heureux à présent. Est-ce vrai ?” La conversion “peut leur donner une illusion de paix”, me répond-il. “Mais cela ne leur permet pas d’assumer le rôle de leurs parents [dans la guerre]. Je pense que c’est une manière de fuir le problème. Pour être vraiment capable d’assumer le passé, il faut chercher à comprendre comment votre père a pu participer à un génocide. Il faut vous dire que vous auriez pu faire la même chose si vous aviez vécu à son époque.” Est-il en train de me dire qu’ils continuent à se demander ce qu’ils auraient fait dans l’Allemagne nazie aux juifs alors qu’ils le sont eux-mêmes aujourd’hui ? “Vivre en Israël leur permet de se tenir autant que possible à distance, précise-t-il. Je ne sais pas jusqu’à quel point ils sont vraiment intégrés dans la société israélienne. Je pense qu’ils doivent galérer. Je ne les envie pas.”

Je retourne en banlieue pour rencontrer une artiste. Cette convertie est membre d’une organisation de défense des droits de l’homme pour le peuple palestinien. Une femme incroyablement belle m’ouvre la porte et je lui dis bonjour. “Oh non, dit-elle. Ce n’est pas à moi que vous voulez parler, c’est à mon amie.” La femme que je suis venue interviewer est petite et sèche et a des cheveux courts. Elle a 42 ans, dit-elle. Elle parle très, très vite. Les mots semblent jaillir de sa bouche.

Elle me fait asseoir et m’offre des gâteaux et du café. Je lui dis que j’ai interviewé beaucoup de convertis. “Sont-ils tous fous ?” me demande-t-elle en riant. Que veut-elle dire ? “Eh bien, j’en ai rencontré certains qui m’ont étonnée. Il y en avait d’incroyablement bêtes. Je me suis même demandé s’ils avaient l’indépendance d’esprit nécessaire pour faire ce choix – en particulier ceux qui choisissent de devenir ultraorthodoxes, de renoncer à leur liberté.” Elle hausse les épaules. “Il y a quelque chose de honteux dans la conversion. Les gens tombent dans le fanatisme.” Elle sirote son café et me dit qu’il y a un parallèle entre la manière dont certains juifs agissent vis-à-vis des Palestiniens et celle dont certains Allemands ont agi vis-à-vis des juifs. Elle n’a jamais interrogé sa grand-mère sur la guerre, car elle l’aimait trop pour cela. “Je craignais de la faire souffrir en lui demandant des choses que je n’aurais pas aimé connaître”, explique-t-elle.

Quand elle a appris l’existence de l’Holocauste, elle a eu un haut-le-cœur. “J’étais horrifiée par ce que les Allemands avaient fait aux juifs, dit-elle. J’ai éprouvé une sensation de dégoût. J’étais même écœurée par ma propre germanité.” Cela fait un effet bizarre d’écouter ce genre de propos en buvant un café dans un appartement impeccable au Proche-Orient. “Je ne voulais plus être allemande, poursuit-elle. Et, comme l’idée m’est venue très tôt, c’est devenu aussi naturel que de me laver les dents.”

Alors, pourquoi s’est-elle convertie ? Elle fait une grimace. “Ce n’est pas quelque chose de rationnel. Nous parlons ici de religion.” Mais elle explique qu’elle avait 25 ans quand elle s’est enfuie en Israël pour se convertir. Et, aujourd’hui, elle s’en veut pour l’immaturité qui l’a poussée à le faire. Elle a été choquée par le racisme qu’elle a trouvé en Israël. Envers elle ? “Envers les Arabes, dit-elle. J’ai senti qu’on me disait que, pour être un bon juif, il fallait haïr les Arabes.” C’est pourquoi elle se rend aux postes de contrôle de Cisjordanie pour surveiller le comportement des soldats israéliens à l’égard des Palestiniens.

“C’est assez stressant de venir ici et de dire ce que je dis”, observe-t-elle. Alors pourquoi le fait-elle ? “Parce qu’il serait incohérent de savoir qu’on a reproché aux Allemands de s’être montrés terriblement lâches en ne parlant pas alors qu’ils en avaient encore la possibilité, et de venir ici et de ne pas prendre la parole pour défendre la justice.” Elle en a assez d’Israël. Elle sent le poids de sa triple différence : allemande, de gauche, lesbienne. Un psy dirait qu’elle est venue ici pour se mettre en difficulté, lui dis-je. “Ne croyez pas que je n’y aie pas songé moi-même, rétorque-t-elle. Je voulais m’associer à une histoire que je ne trouvais pas honteuse. Aujourd’hui, je me demande si je vais rester. Je suis pratiquement sûre que non. Parfois, je sens que je ne suis pas faite pour vivre ici, que je ne suis pas assez forte pour ce pays.”

Le même jour, je rencontre l’homme qui m’a fait venir ici, l’homme par qui tout a commencé : ce membre de la famille Hitler qui est professeur dans une faculté d’études juives. Je l’appelle et, à ma grande surprise, il me répond. Je lui dis que j’écris un article sur les Allemands convertis au judaïsme, et il me répond qu’il peut me recevoir tout de suite. Je me rends donc à son appartement, qui est tout proche de celui où vit l’artiste. Il habite un immeuble d’un blanc crasseux, entouré de quelques arbustes rabougris. Je monte l’escalier et une femme coiffée du foulard de l’épouse juive orthodoxe vient m’ouvrir. Elle ne dit rien, me faisant simplement signe de m’asseoir à une table dans une pièce qui croule sous les livres. C’est alors qu’il apparaît. Est-ce là mon Hitler juif ? Il est incroyablement grand et mince, dans une chemise d’un jaune aveuglant, très vivant, et son accent – une étrange bouillie d’allemand, d’anglais et d’hébreu – fait penser à un vrombissement. Il tient deux feuilles, un arbre généalogique et un résumé de la vie d’Alois Hitler junior, le demi-frère d’Adolf Hitler.

“Je vous raconterai toute l’histoire à condition que vous ne citiez pas mon nom”, me dit-il. Il place la première feuille devant moi et, en montrant des noms, se lance dans un compte rendu, étrange et quasiment incompréhensible, de la vie d’Allemands morts il y a plus d’un siècle. A la fin de chaque résumé d’une longue vie, il tapote sur la table et me dit : “OK ?” Ses explications ne s’éclairent que quand je suis l’arbre jusqu’à un nom connu : Alois Hitler.

Alois Hitler a eu deux fils qui sont parvenus à l’âge adulte : Adolf et Alois junior. Ce dernier, qui est le demi-frère du Führer, a eu lui-même un fils illégitime prénommé Hans. “OK ? lance mon hôte. Hans a épousé ma grand-mère Erna après que celle-ci eut divorcé d’avec mon grand-père.” Il annonce d’emblée qu’il déteste la branche Hitler de sa famille. Il devient plus agité. “Je n’ai pas de sang ni d’ADN d’Adolf et de sa famille”, tient-il à préciser. “Et je n’ai pas fréquenté cette famille.” Il a rencontré Hans une seule fois. Les Hitler venaient prendre le thé chez lui quand il avait 12 ans. “Hans était un homme très gentil, dit-il. Ni coléreux, ni brutal.” Mais Erna était ravie d’avoir épousé un Hitler et elle est restée nazie jusqu’à sa mort.

Le professeur m’explique que sa mère a coupé les ponts avec les Hitler. Pendant son adolescence, on l’avait frappée parce qu’elle refusait d’aller aux bals de la jeunesse hitlérienne, et quand elle a mis son fils au monde – c’était un enfant illégitime qu’elle avait eu avec un homme marié –, sa mère et son beau-père l’ont reniée. Il a grandi dans des chambres louées alors que les Hitler vivaient confortablement. Après la guerre, sa grand-mère a changé de nom mais elle a gardé ses convictions.

“Deux de mes fils sont chauvins et l’un des deux est raciste”

Il me raconte ensuite ce qui est arrivé à sa mère durant la guerre. Elle travaillait comme dactylo pour la Wehrmacht, en Pologne, et elle a vu des juifs pendus sur les places de la ville. “C’est une fille qui a participé à la guerre, dit-il, mais j’ai toujours apprécié qu’elle me dise la vérité à ce sujet. Nous parlions en toute franchise. Je n’ai jamais entendu dans sa bouche le mensonge qu’on entendait si souvent chez des Allemands ordinaires de sa génération.” Sa voix s’élève et il les imite d’une voix gémissante : “Nous ne savions pas, nous n’avons fait que notre devoir.” Puis il donne un coup de poing sur la table. “Mes grands-parents n’ont jamais compris ce qu’ils avaient fait, dit-il. Ma mère, elle, a compris.” Quand elle est rentrée chez elle après la victoire des Alliés, elle a été dénoncée comme nazie et les communistes ont confisqué son appartement. “Elle est devenue l’une de ces femmes allemandes qui déblayaient les rues après les bombardements.” Il marche d’un pas lourd vers la cuisine et revient en brandissant deux cuillères en argent dans ma direction : “C’est tout ce que ma mère a rapporté de la guerre. Je les garde en son honneur.” Il a eu une enfance difficile : il voyait rarement son père et sa mère le battait – une fois, elle l’a frappé si fort qu’elle n’a pas pu aller travailler pendant trois jours parce qu’elle avait les doigts trop enflés pour taper sur le clavier. Son père avait une autre famille : sa vraie famille. “Je le voyais très rarement et, les fois où je le voyais, j’étais si fier d’avoir un père que ce n’était pas le moment de lui demander ce qu’il avait fait pendant la guerre. Il est mort quand j’avais 19 ans. Et je ne lui ai jamais demandé ce qu’il avait fait.” Mais il sait que son père était commandant dans la Wehrmacht. Sauf miracle, il a donc tué des gens pour Hitler.

Son chemin vers le judaïsme a été long. “Il n’y a pas eu de lumière descendant soudain sur moi.” Quand il était jeune, il a rencontré une fille qui s’intéressait au judaïsme et il a lu Mein Kampf. “J’ai été très gêné quand je l’ai lu, dit-il. Comment les gens peuvent-ils être stupides au point d’élire une personne qui a écrit des choses pareilles ? C’est affreux.” Il cligne des yeux. “Je ne pense pas que vous puissiez vraiment comprendre à quel point c’est affreux si vous ne le lisez pas en allemand.”

Quand est arrivé le temps de faire son service dans l’armée allemande, il a décidé d’entamer des études de théologie, désireux de profiter d’un vestige paradoxal du nazisme : en 1933, Hitler avait promis au pape de ne jamais enrôler de religieux et la loi n’avait jamais été abrogée. “Je suis pacifiste, précise le professeur. Vous enrôlez des soldats quand vous pensez en faire usage.” Dans le cadre de ses études, il a dû passer six semaines en Israël au début des années 1970. “Je m’y suis senti bien. Je n’étais plus en désaccord avec moi-même. Je n’avais pas à rejeter la vieille génération. Et je pensais que j’avais enfin rencontré un peuple qui, à cette époque – aujourd’hui, c’est plus problématique –, avait de bonnes raisons d’être fier de lui.” Il a donc décidé de rester.

Nous sortons sur le balcon pour fumer. Il a l’air d’apprécier sa cigarette ; je m’aperçois que c’est un homme qui sait savourer les plaisirs. Il n’a pas le même abattement que les autres convertis, qui semblent tous écrasés sous un fardeau invisible. Est-ce parce qu’il a parlé à sa mère de tout cela ? Je lui demande, en me préparant au pire, s’il serait devenu juif sans l’Holocauste. “Je ne pense pas”, me répond-il.

Et puis, à ma surprise, il qualifie son fils – son fils israélien – de fasciste. “Quand je l’écoute parler, comme le week-end dernier, je me tiens comme ceci”, et il fait le salut nazi. “Deux de mes fils sont chauvins et l’un des deux est plutôt raciste. Je ne peux pas écouter leurs discours fascistes. Je ne le supporte pas.” Ils parlent des Palestiniens avec mépris. “Chaque fois que je les écoute, cela m’est insupportable. Si l’Holocauste et le IIIe Reich m’ont façonné d’une quelconque façon, c’est en faisant de moi un démocrate convaincu. Je pense que la démocratie doit faire ses preuves en protégeant les droits de ses minorités.

D’ENFANTS DE NAZIS A JUIFS ORTHODOXES

Isabelle Hachey, La Presse, le 23 septembre 2008

Asher Ben Avraham est né à Nuremberg, en 1925. Il s’appelait Oskar Eder. Il était en deuxième année lorsqu’il a entendu parler des juifs pour la première fois. «Je jouais avec mes camarades dans la cour d’école, se souvient-il. Un garçon a trébuché et brisé une fenêtre en tombant. Il saignait et pleurait. Le concierge l’a frappé au visage, encore et encore, en lui disant: «Sale juif! Cochon de juif!»« «Après la récréation, nous avions un cours de catéchèse. J’ai demandé au prêtre ce qu’était un juif et pourquoi il avait été battu. Il m’a répondu que les juifs avaient tué notre Seigneur et qu’ils devaient souffrir.»

Pendant que M. Ben Avraham raconte son enfance baignée de propagande antisémite, sa femme, Hanna, sert du café et des biscuits. C’est une survivante de la Shoah. Sa famille a été massacrée par les nazis. Elle refuse d’en parler. Ni de son drame ni de la conversion de son mari. «Il est plus juif que moi», dit-elle, laconique.

Un parent d’Hitler à Tel-Aviv : M. Ben Avraham fait partie d’un étrange «mouvement de pénitence» en Israël, une subculture discrète de quelques dizaines d’Allemands convertis au judaïsme après la Deuxième Guerre mondiale. La plupart sont des enfants d’anciens nazis, qui ont cherché à expier les crimes de leurs parents de façon radicale: en rejetant leur propre identité pour se joindre à la communauté des victimes.

C’est ainsi que Michael Mach, éminent professeur de philosophie juive à l’Université de Tel-Aviv, prétend être le petit-fils du neveu d’Adolf Hitler. Le professeur, aujourd’hui juif orthodoxe, a refusé d’accorder une entrevue à La Presse. «Je ne veux pas divorcer de ma famille pour cette histoire», a-t-il expliqué.

C’est que les liens parentaux de M. Mach sont difficiles à assumer, en Israël plus que nulle part ailleurs. Ici, personne n’oublie que les fondations du pays reposent sur les cendres de six millions de victimes de l’Holocauste.

Quand le professeur a révélé son passé à un tabloïd israélien, il y a deux ans, ses enfants se sont fait traiter de nazis à l’école. Des voisins l’ont évité dans la rue. D’autres lui ont tourné le dos à la synagogue. Un de ses étudiants lui a dit: «Imaginez! Votre grand-père pourrait avoir transformé ma grand-mère en savon!»

Fils d’Abraham : Oskar Eder, lui, a été conscrit dans la Luftwaffe – l’aviation allemande – sous le Troisième Reich, mais affirme n’être «jamais sorti de la base d’entraînement», ignorant tout des crimes commis par sa nation durant la guerre. Quand il a compris ce qui s’était passé, le choc fut terrible.

Son âme torturée par le fardeau de la culpabilité, il s’est mis à chercher des réponses dans la philosophie orientale. En 1955, le jeune avocat, consultant pour une grosse banque allemande, a entrepris le voyage d’une vie. D’abord en Inde, puis au Pakistan – où il a étudié dans une école coranique – en Afghanistan, en Irak et en Jordanie. Et, enfin, en Israël.

C’était en 1957. «J’ai découvert un peuple normal, loin de ce que m’avait appris la propagande nazie et l’idéologie chrétienne. J’ai travaillé dans un kibboutz. La terre m’a attiré, je ne voulais plus faire partie de la congrégation des antisémites, et j’ai décidé d’embrasser le judaïsme.»

En 1968, Oskar Eder est donc devenu Asher Ben Avraham, guide touristique à Jérusalem. Il a beaucoup étudié la Torah. Avec l’aide d’un imam musulman, ce juif orthodoxe a fondé l’Israël-Islam Friendship Fellowship, qui fait la promotion de la bonne entente entre les trois religions monothéistes. «Je travaille à désamorcer les hostilités entre les fils d’Abraham», explique-t-il.

M. Ben Avraham dévoile rarement son passé à ses compatriotes. «C’est un trop gros choc, surtout pour les juifs d’Europe. Être confronté à un Allemand converti au judaïsme, pour eux, c’est trop difficile.» Sa femme l’écoute en silence. Ils se sont rencontrés dans une conférence internationale pour la paix.

« Je ne peux pas payer pour les péchés des autres. Je peux seulement tenter de me corriger moi-même, dit le vieil homme. J’ai avalé toutes ces histoires de juifs tueurs du Christ. Je les ai avalées parce que je ne connaissais rien d’autre. Et j’essaie de m’en débarrasser en faisant quelque chose de positif, en aidant les gens à trouver leur chemin hors de tout ce désordre. »
   


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