|
Accueil
Dossiers
Le Saviez Vous ?
Le retour au judaïsme en pleine Shoah | Lundi 10 Février 2014 | 14h33 Vue : 4640 fois | |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Des centaines
de documents réunis par l’Institut Shem Olam mettent l’accent sur un phénomène fascinant, dans l’ombre
de l’horreur : des Juifs assimilés, dont certains s’étaient convertis au Christianisme, ont décidé de revenir au Judaïsme et de mourir
en Juifs pieux (observants).
Au cours de la Shoah,
alors que certains Juifs ont abandonné la religion et cessé de croire en D.ieu, et que d’autres y
percevaient un renforcement de leur foi, un phénomène unique s’est déroulé à l’ombre de l’horreur. Des Juifs assimilés , dont certains
s’étaient sincèrement convertis au Christianisme, ont redécouvert leur Judaïsme.
Revenir à la foi juive en périodes de détresse
Je soussigné
Dr Friedrich Eisner, fils des regrettés Friedrich et Theresa (Abelles), né le 5 mars 1884,
déclare par la présente, de manière claire et décisive, que je reviens au Judaïsme et que, de par mon libre-arbitre, je retourne sous
la Loi Juive.
La lettre
citée ci-dessus, comme bien d’autres documents et témoignages obtenus par l’Institut Shem Olam,
révèlent ces récits restés inconnus du grand public, dans l’histoire de la Shoah.
Ces révélations
surprenantes sont faites par le Rabbin et Dr. Avraham Krieger, historien et directeur de l’Institut
Shem Olam pour l’enseignement, la documentation et la recherche sur la Shoah. Le Dr. Eisner s'exprime ainsi: c’est comme si vous
vouliez me prouver qu’être Juif constitue un obstacle dans ma vie, et que je vous fasse la réponse que, justement, j’y reviens, mais
en public .
" L’histoire exacte
ne correspond pas qu’à une perte de foi, mais aux questions profondes que les gens se posent ", dit le
Rabbin Krieger. " Des questions profondes sur D.ieu , comme nous le savons, sont fréquentes et familières, dans le monde du Judaïsme.
Un exemple classique correspond au meurtre de masse qui a eu lieu à la suite de la bataille de Betar, à l’époque de la Destruction du
Second Temple ; les Sages d’Israël étaient inextricablement en lutte avec de paroles comme Le D.ieu Grand, Courageux et
Terrible. Et ils se demandaient aussi : « Où est sa Grandeur ? En quoi est-il si Terrible ? » ; Ils ne pouvaient pas
prononcer de tels mots dans une prière.
La Foi,
ce n’est pas comme la robotique. Les vraies questions se doivent d’être posées, et elles doivent être
entières et présentes au sein même du langage religieux.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé, à l’époque, pour que les gens ressentent, à nouveau, le besoin de se rapprocher du Judaïsme et
de la foi religieuse ?
C’est vraiment
l’un des phénomènes les plus fascinants, qu’à côté de gens qui exprimaient des questions très
douloureuses et difficiles ou qui perdaient la foi, un phénomène radicalement opposé ait pu se produire.
On trouve des Juifs,
qui se trouvaient vraiment aux marges du monde juif, qui, brusquement, ont décidé d’adopter et
d’exprimer ouvertement leur Judaïté. Selon le Rabbin Krieger, "Les Juifs non-religieux ont été violemment projetés dans une situation
qui a fait que beaucoup d’entre eux se sont dits : « J’en suis vraiment arrivé là, uniquement parce que je suis Juif. Je devrais, au
moins, examiner et comprendre ce que cela veut dire" .
On trouve des Juifs,
Le journal d’une personne anonyme du Ghetto de Varsovie, de milieu assimilé des cercles
sionistes, comme on dit, est rempli d’expressions reflétant une sorte de désir et de soif d’en apprendre plus sur sa Judaïté. Il
ressent, encore et encore, toute l’absurdité, dans laquelle le monde juif autour de lui est plongé, mais il ne sait pas très bien ce
que ce bagage signifie exactement pour lui.
Il y avait aussi
tous ces gens qui ont été conduits dans les ghettos, du fait des lois raciales nazies , mais qui
étaient (devenus) Chrétiens. Après tout, les Juifs étaient définis jusqu’à la troisième génération.
De la même façon,
il se pouvait qu’ils aient gardé la religion qui les avait vus naître ou à laquelle ils étaient
convertis depuis leur plus jeune âge. Ils ont pu aussi entretenu l’espoir que, peut-être, leur statut religieux pouvait les sauver, et
que, peut-être le Pape allait s’élever et les délivrer, et parmi eux, très fréquemment, on observe un processus inverse . Des gens qui
arrivaient au Ghetto, qui se savaient condamnés à mort et qui voulaient revenir au Judaïsme.
L’un des documents
trouvés par le Rabbin Krieger et ses chercheurs provient du Ghetto de Lodz. Il raconte l’histoire du
Dr Eisner, qui s’est converti au Christianisme dans les années 1920. Eisner appartenait à une Eglise de Vienne, qu’il fréquentait tous
les dimanches. Mais quand il est arrivé, comme beaucoup d’autres, d’Autriche pour tomber dans ce ghetto polonais, il a demandé aux
Rabbins locaux d’entreprendre un processus de « retour au Judaïsme », principalement, par un acte de déclaration, qui reflète le
changement radical de ses opinions religieuses.
"Aujourd’hui,
nous disposons des papiers formels qui décrivent ce retour (Téchouva) et une lettre qu’il a
envoyée à son église, par laquelle il l’informe de sa décision de la quitter et de retourner au Judaïsme", explique le Rabbin Krieger.
On peut supposer qu’il n’avait pas à le faire, et certainement pas depuis l’intérieur du ghetto. Je comprends cela comme une sorte de
communiqué : « C’est comme si vous aviez voulu me montrer à quel point être Juif pouvait représenter un obstacle dans ma vie, et ma
réponse, c’est, justement, que j’y retourne et que je veux que cela soit public ».
Eisner a été assassiné huit mois après ce processus, il est mort en Juif religieux, dans le camp d’extermination de
Chelmno.
Les archives de New York
Shem Olam est
aujourd’hui présenté par les Archives de l’Etat de New York, comme l’un des centres de recherches d’archives
les plus importants, concernant la vie durant la Shoah.
L’Institut
dispose d’une collection de quelques 800.000 documents et témoignages, autour de dilemmes idéologiques et
éthiques, au cours de la Shoah, et il se trouve constamment engagé dans une course contre la montre, tâchant de rassembler des
témoignages et des récits sur la vie et sur son sens, dans la perspective d’une mort certaine.
“A mes yeux, ce sont des enseignements significatifs qui sont aussi très pertinents et lourds de sens à notre époque",
souligne le Rabbin Krieger. « Lorsque vous ne traitez que de la mort et de la survie physique, les questions et dilemmes éthiques
demeurent dans l’ombre, sans aucune illustration, sans information qui en traite ».
Selon le Rabbin,
aucune étude mesurable et significative n’a été menée jusqu’à maintenant, autour du thème de la Foi
religieuse ou de son absence. Des quelques rares études conduites sur les changements d’opinion concernant la foi et la religion, la
tendance semble aller vers un point d’ancrage, une sorte de carrefour. En d’autres termes, il est, certes, devenu évident que certains
le quitteraient, mais aussi, que d’autres le rejoindraient.
Selon le Rabbin,
Cependant, il est important de rappeler que nous parlons d’une réalité complètement différente, dans
laquelle toutes les normes et mesures conventionnelles qui définissent ce que signifie une personne religieuse ou
croyante n’existent tout simplement pas. Aujourd’hui, vous pouvez examiner l’engagement religieux, comme le fait d’observer
le Shabbat ou la Casherout . Chacun de ces points de repère n’existait même plus, aussi comment pourrait-on exactement mesurer la
foi en de telles situations ?
Mon père,
un survivant de la Shoah, m’a dit, une fois, quelque chose pour laquelle il m’a fallu cinq bonnes minutes
pour m’en remettre – ce qu’avait signifié, pour lui, revenir à une vie normale : « J’ai dû ré-apprendre à manger avec un couteau et
une fourchette. Nous ne pouvons imaginer ce que ça veut dire de vivre hors de toute civilisation, d’exister dans une réalité de sous-
homme, d’animal. Pardonnez-moi – un animal se trouve dans une bien meilleure posture. C’est incompréhensible. Aussi, ce retour au
monde normal est difficile et il est presque impossible ».
Rabbin Avraham Krieger:
"La lutte identitaire des survivants n’est pas prête de se terminer".
Le Rabbin Krieger
explique qu’après la Shoah, les survivants ont été propulsés dans une réalité nouvelle, “et la
plupart n’ont pas essayé de restaurer les normes dans lesquelles ils vivaient avant la guerre.
Certains
ont pu le définir en disant : « j’ai perdu la foi », comme s’ils ne parvenaient pas à recommencer à évoquer
de telles questions ni comment il aurait fallu procéder, à nouveau. Et là, à une époque maintenant éloignée, nous entendons
brusquement des témoignages de survivants, qui ressentent qu’ils sont, en fait, bloqués au même point où ils se trouvaient à la veille
de la Shoah, et ils en sont encore là, au moins sur le plan spirituel. Ils n’ont, en réalité, pas abandonné (la foi) ni opéré
un choix conscient, mais aujourd’hui, bien des décennies plus tard, avec une famille, des petits-enfants et même des arrière-petits-
enfants, il n’est pas aisé, pour eux, de revenir en arrière ».
Les gens du ghetto ont commencé à évoquer l’option de la conversion. Une opportunité s’est
présentée, pour envoyer les enfants vers des systèmes (institutions) chrétiens, et ainsi les sauver, mais en sachant pertinemment
qu’ils seraient perdus pour leur peuple… Je suis sûr que s’il nous était possible d’organiser un référendum sur cette question, nous
obtiendrions une réponse unanime du peuple tout entier : que nous n’enverrions pas nos fils et nos filles à travers ce feu étrange.
Certains des dirigeants des mouvements étaient d’accord, alors que d’autres posaient leurs objections et que certains autres
hésitaient » (Décembre 1942, Ghetto de Varsovie).
Le journal anonyme
du membre des cercles sionistes du Ghetto de Varsovie (cité plus haut) révèle entièrement un dilemme
éthique sur sept pages d’un précieux papier. Il se concentre sur des propositions de l’Eglise de prendre en charge les enfants du
Ghetto, qui seront cachés dans des couvents au prix de leur conversion.
Major Yossi Peled
Le rav Krieger
dit qu’il ne peut être certain que les mots de cette personne reflètent l’état d’esprit régnant alors
dans le ghetto. « Il devait y en avoir beaucoup qui auraient objecté à cette décision.
J’ai montré
l’extrait de ce journal au Général-Major Yossi Peled, qui a été sauvé de cette manière. Il a été
profondément choqué à l’idée que quiconque avait partagé la façon de penser de l’auteur, ne pouvait pas avoir survécu, jusqu’à
aujourd’hui .
D’un autre côté, cet indécision réelle est, en soi, fascinante. L’identité est une question lourde de sens, pour eux, au moins, autant
que la vie elle-même, et l’abandonner n’a rien d’évident. Cela souligne leur engagement profond envers leur identité
religieuse et nationale ».
A quoi tient
la religion dans des situations aussi sinistres ? Le Rabbin Krieger pense que cela frôle parfois
l’irrationalité complète et tient d’un fanatisme incompréhensible.
Cela peut avoir atteint des points très proches de la bizarrerie, ce désir de maintenir le mode de vie religieux, ne serait-ce, même,
qu’un peu. Comme le fait de ne pas manger de certaines choses jusqu’à mettre presque sa vie en danger.
Mais le fait
même d’abandonner sa religion après la guerre ne s’est pas toujours avéré rationnel. Au cours d’une
conversation que nous avons mise à jour, entre deux survivants, l’un demande à son ami ce qui l’a, en définitive, poussé à abandonner
la religion – après avoir lutté pour elle jusque dans les camps. Telle était sa réponse : « L’expérience de la richesse est plus
difficile à vivre que l’expérience de la misère ». En d’autres termes, ce n’était pas nécessairement plus rationnel.
Un récit qui s’’est évanoui ou qu’on a supprimé du récit
officiel ?
Les documents
et témoignages réunis par l’Institut soulèvent de profondes questions, à propos de l’absence de ces
récits, dans l’histoire de la Shoah, telle que nous la connaissons jusqu’à présent.
Il ne fait
aucun doute que l’histoire de la Shoah a été gravée dans le marbre de la société israélienne, à
travers un récit très particulier, admet le Rabbin Krieger. « Et ce n’est là qu’un aspect de l‘histoire qui ne nous est pas
racontée ».
La devise
du Jour du Souvenir de la Shoah et de l’Héroïsme est l’un des plus célèbres d’entre eux.
Aujourd’hui, nous savons que l’héroïsme a de nombreux visages, qui ne se limitent pas nécessairement à porter une arme entre les
mains.
Une mère
qui protège un enfant de la réalité de la faim est aussi héroïque qu’un combattant du Ghetto.
Shem Olam, comme d’autres instituts de recherche, tâche de rendre des récits autres aussi présents dans l’histoire de la
Shoah, parce que le plus courant constitue principalement une sorte de bulle et il passe à côté de nombreuses situations, et en ne les
prenant pas en considération, nous présentons une image tronquée , et ce qui s’avère faux finira par être réfuté.
Y a t-il eu une main pour guider cette façon de présenter les
évènements, selon vous ?
"J’essaie
de ne blâmer personne. Cela ne provient pas toujours d’une intention consciente, cela dit, il ne fait aucun
doute qu’une partie de ce qui a été occulté l’a été intentionnellement. L’Histoire est un outil qui sert à façonner le présent. Elle
met en avant des héros et condamne les autres à l’oubli, et c’est quelque chose qu’on observe aussi dans la documentation ultérieure
des guerres d’Israël, par exemple".
La question de la foi
et d’autres récits auraient pu rompre le fil ou gêner le récit classique qu’on nous enseigne, comme,
par exemple que le monde de la Diaspora n’a jamais été optimal, comparé à l’idéal de la Terre d’Israël.
Aussi, mettre en évidence la force de l’esprit dans un tel monde peut soustraire une partie de l’ethos qu’on a ensuite construit après
eux sur leur dos.
Pendant la fête de Souccote dans le Ghetto de Lodz
En outre,
l’histoire de la Shoah était entre les mains d’historiens qui n’étaient pas familiers de ce monde-là,
le monde religieux.
Une fois,
j’ai envoyé des documents sur ce sujet à l’un des professeurs israéliens qui est spécialisé sur le
sujet et il m’a répliqué : « Je traite de problèmes qui me sont chers et vous traitez de sujets qui vous tiennent à cœur ».
Et en réalité,
c’est ce qui s’est passé, mais pendant que les gens étaient occupés à commémorer les parties du
problème dont ils se sent le plus proche, les autres parties ont disparu du discours officiel ».
Le Rabbin Krieger
raconte qu’au cours de ses séjours en Pologne et dans d’autres pays, il a rencontré des gens qui sont
encore aux prises avec les mêmes déchirements identitaires .
Restes de Sifré Torah souillés
pendant la seconde Guerre mondiale
"A Lodz,
un prêtre m’a approché, pas n’importe où, puisqu’il s’agissait d’une église, et dont la mère lui
avait dit avant de mourir, qu’elle était Juive. Il était prisonnier d’un dilemme complètement fou et ne savait absolument pas quoi
faire.
J’ai découvert,
plus tard, qu’il s’était levé seul face à sa communauté toute entière, dans l’église, qu’il leur
avait dit qu’il était Juif, et qu’il a tout abandonné du jour au lendemain. Il ne s’est pas vraiment trouvé lui-même, jusqu’à ce jour
et il n’est pas le seul dans ce cas". Il est important de savoir que certaines personnes sont déchirées jusqu’à maintenant, et que
c’est la conséquence de ce qu’ils ont dû affronter.
Mon but
est de découvrir les récits autres. Cela a pris beaucoup de temps avant même que les survivants
puissent parler de la Shoah, et cela prendra, probablement, plus longtemps encore, avant de parler de ce qui ne correspond pas
vraiment au récit dominant. Je crois que ces histoires doivent émerger à la surface, et qu’à partir de là, l’histoire s’équilibrera
d’elle-même ».
|
|
| |
|
|
|
|
|